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nouveaux essais sur l’entendement

étendu. Mais j’aime mieux me conformer à l’usage reçu, en consacrant ces mots à l’homme et en les restreignant à la connaissance de quelque raison de la liaison des perceptions que les sensations seules ne sauraient donner, leur effet n’étant que de faire que naturellement on s’attende une autre fois à cette même liaison, qu’on a remarquée auparavant, quoique peut-être les raisons ne soient plus les mêmes ; ce qui trompe souvent ceux qui ne se gouvernent que par les sens.

§ 13. Ph. Les imbéciles manquent de vivacité, d’activité et de mouvement dans les facultés intellectuelles, par où ils se trouvent privés de l’usage de la raison. Les fous semblent être dans l’extrémité opposée, car il ne me paraît pas que ces derniers aient perdu la faculté de raisonner, mais, ayant joint mal à propos certaines idées, ils les prennent pour des vérités et se trompent de même manière que ceux qui raisonnent juste sur des faux principes. Ainsi, vous verrez un fou qui, s’imaginant être roi, prétend, par une juste conséquence, être servi, honoré et obéi selon sa dignité.

Th. Les imbéciles n’exercent point la raison, et ils diffèrent de quelques stupides qui ont le jugement bon, mais n’ayant point la conception prompte, ils sont méprisés et incommodes, comme serait celui qui voudrait jouer a l’hombre avec des personnes considérables et penserait trop longtemps et trop souvent au parti qu’il doit prendre. Je me souviens qu’un habile homme, ayant perdu la mémoire par l’usage de quelques drogues, fut réduit à cet état, mais son jugement paraissait toujours. Un fol universel manque de jugement presque en toute occasion. Cependant la vivacité de son imagination le peut rendre agréable. Mais il y a des fous particuliers qui se forment une fausse supposition sur un point important de leur vie et raisonnent juste là-dessus, comme vous l’avez fort bien remarqué. Tel est un homme assez connu dans une certaine cour, qui se croit destiné à redresser les affaires des protestants et à mettre la France à la raison, et que pour cela Dieu a fait passer les plus grands personnages par son corps pour l’anoblir ; il prétend épouser toutes les princesses qu’il voit à marier, mais après les avoir rendues saintes, afin d’avoir une sainte lignée qui doit gouverner la terre, il attribue tous les malheurs de la guerre au peu de déférence qu’on a eu pour ses avis. En parlant avec quelque souverain, il prend toutes les mesures nécessaires pour ne point ravaler sa dignité. Enfin, quand on entre en raisonnement avec lui, il se défend si bien que j’ai douté