Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/587

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de la nécessité d’une substance souveraine cause de toutes choses.

Je souhaiterais de me pouvoir expliquer si nettement et décisivement touchant l’autre question qui regarde les formes substantielles. La première difficulté que vous indiquez, Monsieur, est que notre âme et notre corps sont deux substances réellement distinctes ; dont il semble que l’un n’est pas la forme substantielle de l’autre. Je réponds qu’à mon avis notre corps en lui-même, l’âme mise à part, ou le caclaver ne peut être appelé une substance que par abus, comme une machine ou comme un tas de pierres, qui ne sont que des êtres par agrégation ; car l’arrangement régulier ou irrégulier ne fait rien à l’unité substantielle. D’ailleurs, le dernier concile de Latran déclare que l’âme est véritablement la forme substantielle de notre corps.

Quant à la seconde difficulté, j’accorde que la forme substantielle du corps est indivisible, et il me semble que c’est aussi le sentiment de saint Thomas ; et j’accorde encore que toute forme substantielle ou bien toute substance est indestructible et même ingénérable, ce qui était aussi le sentiment d’Albert le Grand, et parmi les anciens celui de l’auteur du livre De diœta qu’on attribue à Hippocrate. Elles ne sauraient donc naître que par une création. Et j’ai beaucoup de penchant à croire que toutes les générations des animaux dépourvus de raison, qui ne méritent pas une nouvelle création, ne sont que des transformations d’un autre animal déjà vivant, mais quelquefois imperceptible ; l’exemple des changements qui arrivent à un ver à soie et autres semblables, la nature ayant accoutumé de découvrir ses secrets dans quelques exemples, qu’elle cache en d’autres rencontres. Ainsi les âmes brutes auraient toutes été créées des le commencement du monde, suivant cette fécondité des semences mentionnées dans la Genèse ; mais l’âme raisonnable n’est créée que dans le temps de la formation de son corps, étant entièrement différente des autres âmes que nous connaissons, parce qu’elle est capable de réflexion, et imite en petit la nature divine.

Troisièmement je crois qu’un carreau de marbre n’est peut-être que comme un tas de pierres, et ainsi ne saurait passer pour une seule substance, mais pour un assemblage de plusieurs. Car supposons qu’il y ait deux pierres, par exemple le diamant du Grand-Duc et celui du Grand-Mogol : on pourra mettre un même nom collectif en ligne de compte pour tous deux, et on pourra dire que e”est une paire de diamants, quoiqu’ils se trouvent bien éloignés l’un de l’autre ; mais on ne dira pas que ces deux diamants composent une