substance. Or le plus et le moins ne fait rien ici. Qu’on les approche
donc davantage l’un de l’autre, et qu’on les fasse toucher même, ils
n’en seront pas plus substantiellement unis ; et quand après l’attouchement
on y joindrait quelque autre corps propre à empêcher leur
séparation, par exemple si on les enchâssait dans un seul anneau,
tout cela n’en fera que ce qu’on appelle unnum per accidens. Car
c’est comme par accident qu’ils sont obligés à un même mouvement.
Je tiens donc qu’un carreau de marbre n’est pas une seule substance
accomplie, non plus que le serait l’eau d’un étang avec tous
les poissons y compris, quand même toute l’eau avec tous ces poissons
se trouverait glacée ; ou bien un troupeau de moutons, quand
même ces moutons seraient tellement liés qu’ils ne pussent marcher
que d’un pas égal et que l’un ne pût être touché sans que tous les
autres criassent. Il y a autant de différence entre une substance et
entre un tel être qu’il y en a entre un homme et une communauté,
comme peuple, armée, société ou collège, qui sont des êtres moraux,
où il y a quelque chose d’imaginaire et de dépendant de la
fiction de notre esprit. L’unité substantielle demande un être accompli
indivisible, et naturellement indestructible, puisque sa notion
enveloppe tout ce qui lui doit arriver, ce qu’on ne saurait trouver
ni dans la figure ni dans le mouvement, qui enveloppent même
toutes deux quelque chose d’imaginaire, comme je pourrais démontrer,
mais bien dans une âme ou forme substantielle à l’exemple de
ce qu’on appelle moi. Ce sont là les seuls êtres accomplis véritables,
comme les Anciens avaient reconnu, et surtout Platon, qui a fort
clairement montré que la seule matière ne suffit pas pour former
une substance. Or le moi susdit, ou ce qui lui répond dans chaque
substance individuelle, ne saurait être fait ni défait par l’appropinquation
ou éloignement des parties, qui est une chose purement
extérieure à ce qui fait la substance. Je ne saurais dire précisément
s’il y a d’autres substances corporelles véritables que celles qui sont
animées, mais au moins les âmes servent à nous donner quelque
connaissance des autres par analogie.
Tout cela peut contribuer à éclaircir la quatrième difficulté, car, sans me mettre en peine de ce que les scolastiques ont appelé formam corporeitatis, je donne des formes substantielles à toutes les substances corporelles plus que machinalement unies. Mais cinquièmement, si on me demande en particulier ce que je dis du soleil, du globe de la terre, de la lune, des arbres et de semblables