Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/602

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sens et particulièrement suivant le rapport des autres corps au sien, car elle ne saurait exprimer également toutes choses ; autrement il n’y aurait point de distinction entre les âmes ; mais il ne s’ensuit pas pour cela qu’elle se doive apercevoir parfaitement de ce qui se passe dans les parties de son corps, puisqu’il y a des degrés de rapport entre ces parties mêmes qui ne sont pas toutes exprimées également, non plus que les choses extérieures. L’éloignement des uns est récompensé par la petitesse ou autre empêchement des autres, et Thalès voit les astres, qui ne voit pas le fossé qui est devant ses pieds.

Les nerfs et les membranes sont des parties plus sensibles pour nous que les autres, et ce n’est peut-être que par elles que nous nous apercevons des autres ; ce qui arrive apparemment, parce que les mouvements des nerfs ou des liqueurs y appartenant es imitent mieux les impressions et les confondent moins ; or les expressions plus distinctes de l’âme répondent aux impressions plus distinctes du corps. Ce n’est pas que les nerfs agissent sur l’âme, à parler métaphysiquement, mais c’est que l’un représente l’état de l’autre spontanea relatione. Il faut encore considérer qu’il se passe trop de choses dans notre corps, pour pouvoir être séparément aperçues toutes, mais on en sent un certain résultat auquel on est accoutumé, et on ne saurait discerner ce qui entre à cause de la multitude, comme, lorsqu’on entend de «loin le bruit de la mer, on ne discerne pas ce que fait chaque vague, quoique chaque vague fasse son effet sur nos oreilles ; mais quand il arrive un changement insigne dans notre corps, nous le remarquons bientôt, et mieux que les changements de dehors qui ne sont pas accompagnés d’un changement notable de nos organes.

Je ne dis pas que l’âme connaisse là piqûre avant qu’elle ait le sentiment de douleur, si ce n’est comme elle connaît ou exprime confusément toutes choses suivant les principes déjà établis ; mais cette expression, bien qu’obscure et confuse, que l’âme a de l’avenir par avance, est la cause véritable de ce qui lui arrivera et de la perception plus claire qu’elle aura par après, quand l’obscurité sera développée, l’état futur étant une suite du précédent.

J’avais dit que Dieu a créé l’univers en sorte que l’âme et le corps, agissant chacun suivant ses lois, s’accordent dans les phénomènes. Vous jugez, Monsieur, que cela convient avec l’hypothèse des causes occasionnelles. Si cela était, je n’en serais point fâché, et je suis tou-