Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/635

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exécuter les lois de la justice ou de l’amour, que rien ne saurait nuire aux âmes qui sont dans la main de Dieu, et que tout doit réussir au plus grand bien de ceux qui l’aiment. C’est pourquoi, les esprits devant garder leurs personnages et leurs qualités morales, afin que la cité de Dieu ne perde aucune personne, il faut qu’ils conservent particulièrement une manière de réminiscence ou conscience, ou le pouvoir de savoir ce qu’ils sont, d’où dépend toute leur moralité, peines et châtiments, et par conséquent il faut qu’ils soient exempts de ces révolutions de l’univers qui les rendraient tout à fait méconnaissables à eux-mêmes, et en feraient, moralement parlant, une autre personne. Au lieu qu’il suffit que les substances brutes demeurent seulement le même individu dans la rigueur métaphysique, bien qu’ils soient assujettis à tous les changements imaginables, puisque aussi bien ils sont sans conscience ou réflexion. Quant au détail de l’état de l’âme humaine après la mort, et comment elle est exempte du bouleversement des choses, il n’y a que la révélation qui nous en puisse instruire particulièrement ; la juridiction de la raison ne s’étend pas si loin. On me fera peut-être une objection sur ce que je tiens que Dieu a donné des âmes à toutes les machines naturelles qui en étaient capables, parce que les âmes ne s’entr’emlpêchant point, et ne tenant point de place, il est possible de leur en donner d’autant qu’il y a plus de perfection d’en avoir et que Dieu fait tout de la manière la plus parfaite qui est possible ; et non magis datur vacuum formarum quam corporum. On pourrait donc dire par la même raison que Dieu devait aussi donner des âmes raisonnables ou capables de réflexion à toutes les substances animées. Mais je réponds que les lois supérieures à celles de la nature matérielle, savoir, les lois de la justice, s’y opposent ; puisque l’ordre de l’univers n’aurait pas permis que la justice eût pu être observée à l’égard de toutes, il fallait donc faire qu’au moins il ne leur pût arriver aucune injustice ; c’est pourquoi elles ont été faites incapables de réflexion ou de conscience, et par conséquent insusceptibles de bonheur et de malheur.

Enfin, pour ramasser mes pensées en peu de mots, je tiens que toute substance renferme dans son état présent tous ses états passés et à venir, et exprime même tout l’univers suivant son point de vue, rien n’étant si éloigné de l’autre qu’il n’ait commerce avec lui, et sera particulièrement selon le rapport aux parties de son corps, qu’elle exprime plus immédiatement ; et par conséquent rien ne lui