Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/110

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et une mutuelle liberté sentimentale. Assez nombreuses sont les pièces de théâtre qui manifestent cet état d’esprit. Le préjugé à la mode, de Nivelle de la Chaussée, l’Indiscret, de Destouches, ridiculisent des maris amoureux de leurs femmes, « La foi conjugale, dit Bernis, n’est une vertu que dans l’esprit de la bourgeoisie » [1]. Aussi, et c’est là un de ces contrastes saisissants entre les lois et les mœurs que nous relevons dans la condition féminine, tandis que le droit civil et la religion condamnent si formellement et punissent si sévèrement l’adultère de la femme, l’opinion du monde l’admet comme une loi de la bonne société. Peut-on dire vraiment que l’adultère fut plus fréquent dans la haute société, au xviie siècle qu’à une autre époque ? Il semble bien que oui, et ceci pour deux raisons très simples ; comme nous venons de le dire, nulle communauté de vie conjugale n’existait et d’autre part, la toute puissance des usages mondains non moins que le désir de jouer un rôle à la Cour en approchant intimement les puissants du jour y poussait celles même que leur froideur ou leur honnêteté naturelles en eût écartée. À lire les mémoires du temps, il ne semble pas qu’il y ait eu, du moins à la Cour, une femme sur dix de fidèle à la foi conjugale. Prendrons-nous à la lettre cette boutade de d’Argenson : « À la Cour, toutes celles qui ne sont pas des dévotes sont des p… ou des m… ? [2] » Et tiendrons-nous pour vraies d’autres affirmations du même écrivain qui jettent un jour singulier sur ces grandes dames qui semblent, à distance, les incarnations même de la grâce et de la beauté ! À en croire l’ancien secrétaire d’État aux affaires étrangères, la débauche est telle chez les femmes de la Cour que les maladies, qui en sont à cette époque d’insuffisante hygiène une conséquence inévitable, frappent sans pitié les plus belles. Fleurs vénéneuses, dirait d’elles un romantique. Alors on parle plus crûment ; le plus galant euphémisme qu’emploie d’Argenson qui, presque seul, ose montrer cette « face hideuse » de la galanterie est de dire d’une femme qu’elle n’est « point trop saine ». Et comme le ferait un tableau du Greco au milieu des toiles de Boucher et de Watteau, quelques lignes des mémoires de d’Argenson se détachent, parmi la légèreté des marivaudages, avec un tragique relief. C’est Mme  de Prie dont, avant même sa disgrâce, « le corps tombe en lambeaux et devient hideux. » C’est cette notation d’une portée plus générale surtout par sa réflexion finale qui dévoile peut-être l’une des causes profondes de la décadence de la noblesse de cour :

  1. Mémoires.
  2. Ibid.