Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/115

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promenades, petits soupers. Même parmi les grandes dames, quelques-unes sont des femmes d’intérieur, telle Mme  Augeard, femme du secrétaire des commandements de Marie-Antoinette, que les souvenirs de son mari nous font apparaître comme vivant avec son époux d’une vie assez intime pour que celui-ci ne prenne aucune décision sans la consulter ; telle encore la marquise d’Argenson, que l’ancien secrétaire d’État aux affaires étrangères nous montre superficielle et bonne, s’occupant bien de quelques petits travaux artistiques, voire de médecine, mais surtout l’esprit tourné au ménage et la conversation remplie des faits et gestes des domestiques.

Ces femmes d’intérieur, cependant, apparaissent comme de véritables exceptions. La plupart sont bien trop occupées à leurs devoirs mondains, à une recherche fébrile du plaisir, à des intrigues sentimentales et politiques pour qu’il leur reste si peu de temps soit-il à consacrer à la direction de leur ménage et à l’éducation de leurs enfants. C’est un trait fort justement noté par Goncourt que les enfants ne voient pas ou presque pas leur mère. Une Mme  d’Epinay même, qui, sous l’influence de Rousseau, considère l’éducation de ses enfants comme le devoir essentiel d’une mère, ne pourra guère consacrer plus d’une heure par jour à sa fonction d’éducatrice. Encore le fera-t-elle plus avec la préoccupation de briller aux yeux du monde que par le désir sincère d’être utile à ses enfants.

La plupart des femmes ne tendent-elles pas, même, à prendre une vie et des allures d’une liberté toute garçonnière ? C’est la duchesse d’Orléans qui, au cours de promenades nocturnes au Palais-Royal, s’amuse à accoster un jeune Hollandais de passage, qu’elle a ensuite grand’peine à empêcher d’abuser de la situation[1]. C’est, parmi les jeunes femmes de la haute société parisienne, la mode répandue, aux environs de 1760, de s’arrêter seules dans une guinguette des environs ou à un café de la capitale et, à l’instar des hommes, de casser les vitres et de briser la vaisselle.

N’a-t-on pas vu même, sous la Régence, deux jeunes femmes se battre en duel ? [2] Dégagées de toute la retenue que les lois et les convenances imposaient jadis à leur sexe, les femmes de la Cour sont bien en fait — €t apparaissent — des émancipées. À quelques privilégiées, les mœurs ont donné ce que longtemps encore refuseront les lois.

Donc, et il faut y revenir car c’est bien là le trait essentiel de la

  1. Mme  du Hausset. Mémoires.
  2. Mathieu Marais. Journal de la Régence.