Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/308

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lain des religieuses enterrer tous ceux et toutes celles qui meurent dans leur communauté[1]. Les contestations à ce sujet sont longues et nombreuses.

L’abbesse de Montivilliers soutient avec énergie ses droits de juridiction contre l’archevêque de Rouen. Lorsqu’en 1736 celui-ci prétend étendre son droit de juridiction sur l’abbaye de Montivilliers, située dans son diocèse, elle proteste, en appelle au Conseil du roi, à la Cour de Rome et fait faire par un gradué de l’Université de Salamanque un exposé de ses droits. Peine perdue, d’ailleurs : la Cour de Rome et le Conseil se montrent également insensibles. Elle échange alors une active correspondance avec les abbesses des principaux monastères ; les abbesses de Fontevrault, de Montmartre, de Jouarre, et jusqu’à des abbesses espagnoles se déclarent solidaires de l’abbesse de Montivilliers et c’est, dans le haut clergé féminin, une sorte d’insurrection morale contre la juridiction épiscopale. Le résultat n’est d’ailleurs pas celui qu’attendait l’abbesse de Montivilliers. Les prétentions des abbesses donnent aux juristes l’occasion de discuter tous les privilèges des monastères de filles. On peut s’apercevoir alors que l’opinion des hommes compétents leur est peu favorable. Finalement, l’abbesse de Montivilliers doit accepter la juridiction de l’archevêque de Rouen[2]. À la même époque, l’abbesse d’Almenèches, abbaye de l’ordre de Saint-Benoît, établie en Normandie, non loin d’Argentan, soutient une lutte très vive contre l’évêque de Séez et le roi lui-même pour obtenir de transporter une partie de sa communauté à Argentan, où, dit-elle, elle recrutera plus facilement des novices qu’elle ne le fait en pleine campagne, dans un site désolé « où ne mènent que des chemins affreux », sans cependant abandonner l’antique monastère fondé par sainte Opportune pour transporter à Argentan le siège abbatial.

Or, l’évêque de Séez obtient du roi une lettre de cachet, enjoignant aux religieuses de ne plus recevoir de novices à Almenèches, puis l’ordre de transférer toute la communauté à Argentan. Quand la décision est connue, c’est chez les religieuses du monastère, personnes d’âge qui ne veulent à aucun prix se rapprocher du monde, une véritable émeute[3]. D’un commun accord, les religieuses décident que pas une d’entre elles ne sortira. L’abbesse Marie-Gabrielle

  1. Arch. Départ., Loire-Inférieure, E. 2153.
  2. Arch. Départ., Seine-Inférieure, H. 5363.
  3. François Lautour. Mémoire et description de la ville d’Argentan (ms. conservé aux archives de l’Orne et cité par Duval : Introd. à la série H. des Arch. Départ. de l’Orne. Tome III (Alençon, 1899).