Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/321

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l’un des sujets de conversation favoris dans les salons parisiens et il n’était pas de femme du monde, pas de frivole perruche qui, revêtue d’un imaginaire bonnet doctoral, ne se crut capable d’en discuter les principaux articles. « Les femmes sont, dit-il, les motrices de toute la révolte qui divise la Cour, tout le royaume et toutes les familles » [1].

Ce qui n’est pour les mondaines qu’un sujet de conversation capable de faire briller les grâces de leur esprit, est pour mainte autre femme, convaincue et animée d’une vraie foi, la raison même de vivre.

« Le parti janséniste est fort et remuant comme un diable, signalait Barbier en 1728. Les femmes, femmelettes et jusqu’aux femmes de chambre s’y feraient hacher. »

Ce mot n’est pas exagération de littérateur. Les femmes manifestèrent en effet, de mainte manière, leur attachement au jansénisme.

Les évêques de Senez et de Montpellier furent encouragés dans leur résistance à la bulle par des femmes intelligentes qui, comme Mme  de Jaucourt, prirent la plume du théologien pour soutenir leur opinion menacée, ou, comme Mme  Perrier, directrice de l’hôpital de Clermont, les réconforter de leurs conseils[2].

Celles-ci dirigent des imprimeries clandestines d’où, au cours de la dispute entre l’évêque de Senez, Soanen, et le cardinal de Tenein, archevêque d’Embrun, qui se termina par la destitution du premier pour fait de jansénisme, sortent des libelles contre M. de Tencin[3].

D’autres distribuent à la Cour et à la ville ces libelles, les répandent sous le manteau ou les débitent sur la voie publique. Parmi les femmes qui payèrent alors de leur liberté leur zèle janséniste, se trouvent des bourgeoises de toute catégorie, petites marchandes (femmes de fournisseurs), notables, commerçantes (femmes d’orfèvres), femmes ou veuves d’hommes ayant exercé d’importantes fonctions libérales ; l’une est veuve d’un professeur de philosophie à l’Université de Paris, une autre, veuve du directeur de l’Académie française des Beaux-Arts, à Rome. Cette dernière, Mme  Théodon, née Jourdan, semble avoir joué dans la diffusion de la pensée janséniste un rôle de premier ordre. Dès son

  1. Lettres persanes (XXIV). Ed. Didot.
  2. Nécrologie des défenseurs de la vérité.
  3. Funck Brentano. Lettres de cachet : Arrestation, à Senlis, de la femme du libraire Samson, 1727.