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Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/338

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Les femmes de lettres

Le xviiie siècle où, dans la noblesse et dans la bourgeoisie, tant de femmes furent instruites, où un si grand nombre furent intelligentes et spirituelles, n’a fait apparaître aucun grand génie féminin.

Pas de Sapho, ni de Mme de Sévigné, ni de George Sand. Comme le remarque l’auteur anonyme du Petit Almanach de nos grandes femmes, le génie féminin semble alors sommeiller. Si les Sévigné, les Deshoulières, les Scudéry se sont fait presqu’aussi grand nom que les Corneille et les Racine, notre siècle n’enfante plus de ces âmes divines[1].

Ce n’est pas que les femmes de lettres ne soient très nombreuses et ne s’essayent dans tous les genres littéraires.

Romancières et historiennes abondent ; le genre épistolaire et les mémoires sont florissants ; réussir au théâtre dans le comique ou dans le tragique est l’ambition de mainte muse. Certaines abordent sans pâlir la poésie épique ; quelques-unes, visant au renom de philosophes, attaquent l’économie politique ou la théologie.

Il s’en faut qu’elles aient réussi également dans tous les genres. Mais s’il n’en est aucun où elles aient produit un ouvrage de génie, les œuvres intéressantes ne manquent pas.

C’est, sans contredit, lorsque les femmes peuvent se raconter elles-mêmes, laisser parler librement leur cœur, qu’elles produisent les œuvres les plus intéressantes. C’est donc dans le genre épistolaire, dans les mémoires, dans les réflexions ou confidences qu’elles excelleront.

Deux femmes parmi les innombrables auteurs de mémoires méritent de retenir l’attention. Mme de Staal-Delaunay, ancienne lectrice de la duchesse du Maine, qui a laissé de forts intéressants souvenirs sur la Cour de Sceaux, dessine d’un trait net et sobre, avec une vivacité élégante, les personnages qui s’agitent autour de la petite princesse.

Bien différente par le caractère comme par l’époque où elle écrit, Mme d’Epinay raconte[2], elle, le roman de sa vie, et son livre est l’un de ceux qui contribuent le plus à nous faire vivre dans l’atmosphère morale d’une société, à nous faire pénétrer ses manières

  1. Petit almanach de nos grandes femmes.
  2. Goncourt. Loc. cit.