Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/49

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jusque dans les pays de droit écrit. La notion de communauté a d’ailleurs subi, au cours des siècles et justement sous l’influence du droit romain, une évolution fort curieuse.

Au xiiie siècle, époque où la communauté apparaît, cette communauté est réelle. Le mari est maître des meubles mais de ceux-ci seulement ; pour les immeubles, qu’il s’agisse des propres, des acquêts, ou des conquets, ils ne peuvent donner lieu à aucune opération sans que le mari et la femme y participent également. Pour les contrats de vente, locations, aliénations de fiefs, hypothèques, la signature de la femme figure toujours à côté de celle du mari. D’autre part, la femme dirige souverainement le ménage et les dépenses qu’elle fait à cette occasion, l’engagent elle-même et la communauté. Au xviiie siècle, sous l’influence du droit romain qui, à partir du xvie siècle, a influé sur les coutumes, la communauté prend un caractère tout différent et des réformes s’introduisent, celles-ci au détriment, celles-là à l’avantage de la femme, mais qui, les unes et les autres, témoignent que désormais la personnalité de la femme mariée apparaît comme d’une moindre valeur[1].

La communauté est bien toujours définie « une société universelle entre le mari et la femme » mais la réalité ne répond plus à la définition, ou plutôt une définition nouvelle et d’ailleurs étrangement confuse s’est substituée à l’ancienne[2]. « La communauté de mariage est exorbitante des sociétés ordinaires », dit Pothier. Dans celles-ci, chaque associé a un pouvoir égal. Au contraire, dans la communauté entre conjoints, la puissance que le mari a sur les biens et la personne de sa femme lui donne le droit de disposer de toutes les choses qui la composent, tant pour la part de sa femme que pour la sienne sans le consentement de sa femme qui de son côté n’a droit de disposer de rien. C’est pour cette raison que le mari, tant que la communauté dure, est réputé en quelque façon comme le seul seigneur et maître absolu des biens dont elle est composée et que le droit qu’y a la femme n’est qu’un droit informe qui se réduit au droit de partager un jour les biens qui se trouvent la composer lors de sa dissolution. « Comme l’a dit auparavent Dumoulin, dont Pothier fait sienne la formule : « La femme n’est pas vraiment une associée mais elle espère le devenir[3]. »

On voit de suite les conséquences de cette évolution ; c’est

  1. Lefebvre. Cours de droit matrimonial.
  2. D’ailleurs ainsi modifiée : « potius in habitu quam in actu », plutôt en nature qu’en acte.
  3. Pothier. Traité de la puissance maritale.