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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

elle vouait une admiration sans bornes et une soumission passionnée. Autour de la table à ouvrage de Marie-Amélie, une étiquette rigide rassemblait chaque soir de jeunes princesses que le bruit des fêtes et des plaisirs, les images lointaines d’une vie libre et joyeuse faisaient soupirer. Un ennui mortel glaçait ces réunions, d’où la gaieté était bannie comme une inconvenance. La duchesse d’Orléans pouvait seule, par le privilége de sa position, s’en exempter quelquefois. Assez mal vue du roi, qui la trouvait trop intelligente, objet d’un ressentiment caché de la part de la reine, qui attribuait à des alliances hérétiques, réprouvées par le ciel, la mort prématurée de ses deux enfants de prédilection[1] ; peu recherchée des autres princesses à cause de ses goûts sérieux et des ambitions qu’on lui supposait, la mère de l’héritier du trône se tenait à l’écart. L’éducation de ses deux fils occupait le temps le plus considérable de son veuvage sévère. Le culte qu’elle consacrait à la mémoire de son mari remplissait les heures que les soins de la maternité n’absorbaient pas. Bien qu’observée et suspecte, la duchesse d’Orléans entretenait discrètement quelques relations politiques et cherchait avec mesure à se faire connaître du peuple. M. Molé exerçait de l’empire sur son esprit, tandis qu’elle montrait beaucoup de froideur à M. Guizot ; celui-ci ne s’en troublait guère. Tenant en grand dédain ce que le roi et lui appelaient la rêverie germanique[2], la Schwärmerei de la princesse et les pressenti-

  1. La princesse Marie, épouse du prince de Wurtemberg, morte à vingt-six ans, avait, ainsi que le duc d’Orléans, par un mariage protestant, affligé et inquiété l’âme ardemment catholique de Marie-Amélie.
  2. Le passage suivant du testament de feu M. le duc d’Orléans semble indiquer qu’il ne croyait pas non plus l’intelligence de la princesse Hélène propre au maniement des affaires : « Si par malheur l’autorité du roi ne pouvait veiller sur mon fils aîné jusqu’à sa majorité, Hélène devrait empêcher que son nom ne fût prononcé pour la régence. En laissant, comme c’est son devoir et son intérêt, tous les soins du gouvernement à des mains viriles et habituées à manier l’épée, Hélène se dévouerait tout entière à l’éducation de nos enfants. »