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INTRODUCTION.

les autres à éclairer le peuple. Des statistiques irrécusables, publiées en grand nombre, donnaient sur l’état des prisons, des bagnes, des maisons de prostitution et des hospices, des chiffres accablants, et faisaient maudire un gouvernement inhabile à guérir de telles plaies. Au-dessus du chœur encore étouffé des malédictions populaires, s’élevaient à intervalles toujours plus rapprochés des voix prophétiques. Les Paroles d’un croyant, en 1833, firent un effet immense. Sorti avec éclat de l’Église romaine, mais demeuré profondément chrétien par le cœur, l’abbé de Lamennais cherchait dans l’Évangile la condamnation de la race pharisienne qui gouvernait la France, et promettait, au nom du Christ, à la démocratie régénérée, l’ère prochaine de la justice et de la vérité. La charité ardente de sa grande âme blessée, sa vie solitaire, la fierté simple d’une pauvreté qu’il avait préférée à la pourpre, l’autorité même du sacerdoce restée empreinte sur sa personne et dans les habitudes de son langage, lui donnaient un grand prestige. Au Collége de France les cours de MM. Michelet[1], Quinet et Mickiewicz vivifiaient les traditions républicaines des écoles, répandaient dans la jeunesse des sentiments d’amour pour le peuple, de mépris pour l’Église et la société officiel-

  1. M. Michelet et M. de Lamennais étaient adversaires déclarés du communisme. L’un et l’autre défendirent avec éclat et énergie la famille et la propriété au plus fort de la tempête révolutionnaire (voir le Peuple constituant, nos des 28 et 29 mai 1848, et le 3e volume de l’Histoire de la Révolution française), à un moment où ceux qui les accusent aujourd’hui de tendances anarchiques baissaient la tête et gardaient le silence. À cet égard l’opinion publique est singulièrement abusée. Mais sur quoi ne l’est-elle pas à l’heure où je tiens la plume !