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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Battue dans la question des mariages espagnols, amoindrie par la défection de MM. Billault et Dufaure, deux des membres les plus influents de la Chambre, que suivirent aussitôt une trentaine de députés, humiliée, découragée, l’opposition brandissait d’une main débile sa vieille arme émoussée : la réforme. Ce n’était pas là chose bien formidable. M. Duchâtel ne s’en tourmentait guère ; M. Guizot haussait les épaules ; le roi riait sous cape de ces honnêtes niaiseries. Personne en France, non assurément personne, ne pouvait soupçonner le tour extraordinaire qu’allait prendre, à peu de temps de là, une discussion usée à l’avance par sa monotonie. Depuis quinze ans déjà, cette question de réforme électorale et parlementaire se reproduisait invariablement à chaque session. L’opposition répétait que le pays n’était pas représenté avec sincérité, et que l’indépendance de la Chambre n’était pas suffisamment garantie. Elle s’appuyait sur des considérations et des exemples d’une justesse incontestable ; mais, tout en signalant une partie du mal extérieur, elle se gardait bien de descendre jusqu’au vice essentiel de la constitution, jusqu’au principe immoral du cens qui subordonnait la capacité politique au privilége grossier de la fortune. On aura peine à comprendre un jour comment la nation la plus chevaleresque, la plus délicatement sensible du monde moderne, a pu laisser fausser son jugement à ce point d’admettre que la richesse, si souvent acquise aux dépens de la probité, soit non-seulement la plus sûre, mais la seule garantie de la capacité politique. On s’étonnera qu’un peuple élevé par une religion et une philosophie éminemment spiritualistes ait accepté comme modèle des gouvernements un système dont le matérialisme formait la base et se trahissait jusque dans le langage. Quelle pauvre idée ne concevra-t-on pas dans l’avenir d’une génération si promptement façonnée à considérer l’État comme une machine, ayant son jeu, sa pondération, ses rouages ; à dire, en se désignant soi-même, la matière électorale ; à