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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

à ses pieds, sa main distraite reposait sur le gouvernail sans le diriger. Son génie et sa fortune le préservèrent des écueils ; mais au lieu du rivage où il se proposait d’aborder, il s’éveilla un matin du plus beau des rêves, seul, abandonné, presque oublié, sur une plage déserte.

Il est triste, mais il est encore plus intéressant et instructif de voir par quels moyens mal concertés M. de Lamartine essaya de ramener à lui l’esprit public et de vaincre cet adversaire absent, muet, énigmatique, que la révolution, par un de ses jeux les plus inattendus, lui opposait.

Il pensa d’abord qu’il serait d’un effet infaillible de provoquer au sein du peuple même un mouvement contraire au mouvement bonapartiste. Dans cette pensée, il manda près de lui quelques délégués du Luxembourg et d’autres chefs des corporations. Il s’efforça de les animer au tableau des dangers qu’allait courir la République ; il leur offrit des capitaux pour aider les associations ouvrières, et finit par leur demander d’organiser une manifestation contre la rentrée en France du nouvel élu.

Mais M. de Lamartine se vit écouté avec une froideur extrême. Les délégués du Luxembourg, sur l’avis de M. Louis Blanc, avaient voté pour Louis Bonaparte. Ils se tenaient, d’ailleurs, en grande défiance des paroles qu’ils entendaient et des promesses qu’on leur faisait depuis le 24 février. M. de Lamartine put se convaincre qu’il n’exerçait plus d’action sur les hommes du peuple ; il décida alors d’essayer, sans plus tarder, son pouvoir sur l’Assemblée.

L’émotion qu’avait causée dans Paris le nom de Napoléon s’était déjà manifestée à la tribune. Le 10 juin, le représentant Heeckeren, sans doute pour sonder la disposition des esprits, interpellait le ministre de la guerre au sujet d’un bruit qui s’était répandu. Selon ce bruit, un régiment envoyé à Troyes et reçu au cri de : Vive la République ! par la garde nationale, y aurait répondu par le cri de : Vive l’Empereur ! À cette interpellation, qui lui paraît une insulte pour l’armée, le général Cavaignac s’indigne ; il