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HISTOIRE

allons mourir ou vaincre pour la République ? » Eugène Cavaignac lui serra la main avec une douloureuse effusion. « En peux-tu douter ? répond-il à son vieil ami ; s’il en devait être autrement, crois-tu que je consentirais à commander une aussi terrible guerre, à laisser sur mon nom tant de sang ? »

Guinard partit rassuré. Il connaissait la loyauté de Cavaignac. À partir de ce moment, il ne conçut plus aucun doute sur la légitimité de la répression. Son sang-froid et son héroïsme entraînèrent les troupes et décidèrent le succès dans l’une des actions les plus longues et les plus meurtrières de la journée.

Il était environ cinq heures de l’après-midi quand le général Bedeau disposa tout pour l’attaque. À ce moment, on lui annonça une députation des insurgés qui demandait à parlementer. Il s’empressa de la faire introduire. Le général espérait encore qu’il serait possible de prévenir le combat ; il le souhaitait ardemment. Autant sa valeur réfléchie devait le rendre intrépide une fois l’action engagée, autant sa conscience et son esprit d’humanité lui commandaient de ne rien négliger pour empêcher la guerre civile. Le général Bedeau était de ces hommes rares « chez lesquels, pour parler le langage d’un grand écrivain[1], l’état militaire s’allie avec la moralité et n’affaiblit nullement ces vertus douces qui semblent les plus opposées au métier des armes. » Profondément chrétien par le cœur et par la raison, il avait gardé toujours, sous l’obéissance hiérarchique du soldat, l’indépendance de l’homme. Il ne relevait dans son for intérieur que de lui-même ; il ne reconnaissait pas de devoirs supérieurs à ceux que lui imposait sa conscience.

En cette circonstance si grave, il considérait comme un devoir rigoureux de ne rien épargner pour prévenir l’effusion du sang. Mais l’attitude et le langage des parlementaires

  1. M. de Maistre, Soirées de Saint-Pétersbourg.