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HISTOIRE

précoce altèrent ou dépravent toutes les facultés ; l’orgueil aussi les exalte. D’une bravoure plus impétueuse que les soldats de la ligne qui marchent par obéissance, avec tristesse, à cette guerre civile, ils courent partout où retentit la fusillade ; ils arrachent à tous ceux qui les voient des applaudissements qui achèvent de les étourdir. Dans les intervalles du combat, ils fument, ils boivent du vin frelaté, de l’eau-de-vie, à laquelle, par bravade, ils mêlent de la poudre. Ces boissons, ces excès de toutes sortes les jettent dans une allégresse farouche. Quand ils apprennent que l’état de siège est proclamé, ils s’imaginent qu’ils ont droit de tuer sans merci. Sourds à la voix de leurs chefs, ils n’écoutent plus qu’un instinct sauvage. Les cris, les supplications de leurs prisonniers, les excitent à des rires affreux ; la face humaine ne leur impose plus ; ils deviennent plus semblables à des animaux de proie qu’à des hommes.

Et tout ce sang répandu, ces pertes irréparables ne donnent encore aucune certitude sur l’issue du combat. L’insurrection a reculé, il est vrai ; la prise du Panthéon a déterminé son mouvement rétrograde et l’a coupée en deux. L’Hôtel de Ville est sauvé ; mais l’avis des officiers supérieurs est que la journée du lendemain sera vivement disputée ; que l’on doit se résigner à de nouveaux sacrifices ; qu’il faudra attaquer les maisons, les détruire par le boulet, recourir enfin, contre les faubourgs, aux moyens les plus extrêmes.

De leur côté, les insurgés sont montés au plus haut degré de l’exaltation. Leurs chefs, pour les animer à la résistance, leur persuadent qu’ils n’ont aucun quartier à attendre des vainqueurs. Ils ont encore des munitions. Ils y suppléent, d’ailleurs, par toutes sortes d’expédients. Ceux d’entre les ouvriers qui suivent les cours de chimie, au Conservatoire des arts et métiers, connaissent le procédé par lequel se fabrique la poudre ; ils contraignent les pharmaciens à en faire sous leurs yeux ; ils fondent le plomb