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LXVIII.

Cesl esthomac de marbre est-il pas suffisant
Pour monstrer que le cœur qui là dedans s’emmure
Comme luy est de marbre & d’estoffe plus dure
Qu’un roc invariable, endurcy & pesant !

J’ayme bien la beauté du marbre reluisant,
Mais je n’y puis graver ny terme, ny peincture ;
Tableau sainct où mon nom servira de figure,
Sois dur à l’effacer ainsi qu’en l’incisant,

Car si les diamants se gravent par les eaux.
Et si l’on voit les rochz fenduz par les ruisseaux,
Si du borgne Affricain le soin, les feux aussi

Parmy les rochz brisés firent chemin aux armes,
Je graveray mon nom sur ce cœur endurcy,
Le bruslant de mes feux, le mynant de mes larmes.


LXIX.

Un povre serf bruslant d’un tel feu que le mien,
Longtemps humilié, discourant à sa dame
Son amour, sa confiance & sa volante flamme
Eut pour response enfin qu’elle n’en croyait rien.

Un’ autrefois louant sa grace, son maintien,
Ses vertus, sa beauté qui le tue & l’enflamme,
Son corps digne des Cieux, la prison de son ame,
Elle dit : « Taisez-vous ; car je le cognoy bien. »

Ha ! dame, qui n'es moins stupide qu’orgueilleuze,
Deceuë que trompant, fiere que desdaigneuze,
II faloit, pour respondre au vray & sagement,

Mettre au premier discours ta response derniere,
Garder à tes bautez l’ignorance premiere,
Et tu eusses cogneu ta faute & mon torment.