Page:Aimard - Les Francs-tireurs, 1866.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais quand on a atteint la limite de l’une de ces splendides oasis de verdure, nommées forêts vierges, on éprouve malgré soi une impression de religieux recueillement et de douce mélancolie à l’aspect de ces mille arceaux de feuillage, entremêlés et enchevêtrés comme les voûtes d’une vieille église gothique, dont les troncs moussus des chênes bicentenaires forment la verte et imposante colonnade, tantôt rampant à quelques pieds seulement du sol, tantôt s’élevant à des hauteurs immenses.

Alors, animé par l’air plus pur, respirant à pleins poumons, attiré et fasciné malgré soi par les perspectives mobiles et infinies qui s’ouvrent de tous côtés, sentant la marche plus facile sous ces moelleux tapis d’humus et de poussière accumulés par les siècles évanouis, les allures deviennent plus libres, les regards plus perçants, la main plus ferme ; on soupire après la vie hasardeuse et mâle du désert. Plus on se plonge sous ces ombres mouvantes, où la vie est partout bourdonnant comme une marée montante, plus la fraîcheur qui circule à travers le feuillage embaume le sang, fortifie les membres, plus on comprend les irrésistibles attirements de la forêt et l’amour religieux des coureurs des bois pour elle.

Les hommes habitués à la vie du désert ne veulent plus le quitter, car ils en comprennent toutes les voix, en ont sondé tous les mystères, et pour eux la forêt est un monde qu’ils aiment comme le matelot aime la mer. Lorsqu’un beau soleil anime toute cette nature sauvage et pittoresque, que la neige éblouissante des pics lointains ressort comme des rubans d’argent au-dessus des masses de verdure, que les oiseaux gazouillent sous la feuillée, que les