Page:Aimard - L’Éclaireur, 1860.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
L’ÉCLAIREUR.

étonné les aventuriers, tous hommes cependant passés maîtres dans l’art de l’hippiatrique. Ce cheval était un barbe pur sang arabe, qui avait probablement coûté une somme énorme à son propriétaire actuel, et dont les allures devaient sembler étranges à des gens habitués aux chevaux américains. Son maître lui donna la provende, l’installa auprès de lui, puis il se rassit devant le feu.

Au même instant le capitaine apparut à l’entrée de la tente.

— Je vous demande pardon, dit-il avec cette charmante courtoisie innée chez les Hispano-Américains, je vous demande pardon, señor caballero, de vous avoir si longtemps négligé, mais un devoir impérieux réclamait ma présence ; maintenant me voici tout à vous.

L’inconnu s’inclina.

— C’est moi, répondit-il, qui vous prie, au contraire, d’agréer mes excuses pour le sans-façon avec lequel j’use de votre hospitalité.

— Pas un mot de plus sur ce sujet, si vous ne voulez me désobliger.

Le capitaine s’assit auprès de son hôte.

— Nous allons dîner, dit-il ; je ne puis vous offrir qu’une maigre pitance ; mais à la guerre comme à la guerre, j’en suis réduit à la portion congrue, c’est-à-dire au tasajo et aux haricots rouges au piment.

— C’est délicieux, et certes, j’y ferais honneur si je me sentais le moindre appétit ; mais, en ce moment, il me serait impossible de porter la plus légère bouchée de quoi que ce soit à ma bouche.

— Ah ! fit le capitaine en lançant à l’inconnu un regard défiant.

Mais il rencontra une physionomie si naïvement placide, un sourire si franc, qu’il eut honte de ses soupçons, et son visage, qui s’était rembruni, reprit instantanément toute sa sérénité.