Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/970

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3469
3470
VOLTAIRE. INFLUENCE

sur les décrets postérieurs concernant le mariage des prêtres, leur abdication, et sinon le culte de la Raison, du moins les cultes de l’Être suprême, de la théophilanthropie, le culte décadaire, sur les lois des 3 ventôse et Il prairial an III, 6 et 7 vendémiaire an IV, établissant la liberté des cultes ou plutôt leur tolérance dans l’État laïcisé et interdisant à chacun de devenir exclusif ou dominant. Cf. ici, Constitution civile du clergé, t. iii, col. 1537-1603.

Mais Voltaire nuisit plus encore à l’Église par le voltairianisme. « J’ai fait plus en mon temps que Luther et Calvin, écrivait-il en 1769, dans l’Épître à l’auteur… des Trois Imposteurs ; ils condamnaient le pape et voulaient l’imiter… J’ai dit : Très sots enfants de Dieu, … ne vous mordez plus pour d’absurdes chimères. » Il s’était efforcé d’établir, en effet, que, pour croire au christianisme, il fallait être un sot et, pour l’enseigner, un malhonnête homme, et il avait eu « l’art funeste, dit Chateaubriand, de mettre l’incrédulité à la mode ». Le voltairianisme est une doctrine, un état d’esprit et une manière. Déiste ou athée, le voltairien professe ces postulats : le surnaturel n’existe pas ; la raison est l’unique lumière ; l’ordre de la nature est immuable et le miracle impossible ; l’homme ne souffre pas d’un péché originel et il est capable de progrès ; le christianisme est l’obscurantisme anti-social : le croyant n’est qu’un pauvre d’esprit ; on ne discute pas ses idées, on en rit. Cf. V. Giraud, Le christianisme de Chateaubriand, 2 in-8°, Paris, 1925, t. i, p. 89-90 ; Nourrisson, Voltaire et le voltairianisme, 2 in-8°, Paris, 1899.

Depuis la Révolution, le voltairianisme a connu la fortune du philosophisme, dont il est l’expression la plus populaire. Il cesse d’inspirer la législation à partir du Concordat et surtout pendant la Restauration. Mais, alors même, il a ses partisans : sous l’Empire, les « idéologues », « la queue de Voltaire » dit Sainte-Beuve, qui exposent leurs idées dans la Décade philosophique et à la tribune de l’Institut ; cf. ici Rationalisme, col. 1760-1762 ; sous la Restauration le parti libéra] dont le Constitutionnel est le porte-parole, Paul-Louis Courrier (1772-1815) le grand écrivain et Béranger (1780-1857) le poète. De 1817 à 1824, d’après un rapport du ministre de l’Intérieur de 1825, il parut douze éditions des Œuvres complètes de Voltaire. En 1817, paraîtront un Mandement de MM. les vicaires généraux, administrateurs du diocèse de Paris, contre la nouvelle, édition des Œuvres de Voltaire et de celles de Rousseau, in-8°, et, de Clausel de Montals, des Questions importantes sur les nouvelles éditions de Voltaire et de Rousseau. En 1821, l’édition populaire et tapageuse, par le colonel Touquet devenu libraire, du Voltaire des chaumières, etc., provoqua une Instruction pastorale sur l’impression des mauvais livres et notamment sur les nouvelles Œuvres complètes de Voltaire et de Rousseau, p. 241 sq. des Mandements et instructions, in-8°, 1827. — Trois écrivains, bientôt soutenus par le mouvement romantique et invoquant non seulement le raisonnement mais l’histoire et l’expérience, s’efforçaient en même temps de ruiner l’influence du Maître : Maistre, cf. ici, t. x, col. 1660-1678, dont Sainte-Beuve dit, op. cit., p. 242 :

« Le dix-huitième siècle en masse avait gagné la victoire. Voltaire en tête…, quand un chevalier de la

Rome papale s’est avancé. Il est allé droit au chef, à Voltaire, et l’a insulté avec une insolence égale à son objet. » Cf. Considérations sur la France, Du principe générateur, xlii-xliii ; Du Pape, passim ; Soirées de S.-Pétersbourg, septième entretien. Chateaubriand, cf. ici, t. ii, col. 2331-2339, qui écrit le Génie du christianisme, pour ainsi dire, en fonction fie Voltaire et qui s’efforce « de remettre la religion à la mode », suivant son mot sur Voltaire, repris par J. Lemaître. — Enfin Bonald, cf. ici, t. ii, col. 958-961. dont on vient de lire le jugement sur Voltaire. Cf. F. Baldensperger, Le mouvement des idées dans l’émigration française sous la Restauration, 2 in-12, Paris, 1905 ; A. Nettemont, Histoire de la littérature française sous la Restauration, t. ii, 1874. Lamennais tentera de réconcilier l’Église et les principes de 1789, mais rien ne détournera alors la bourgeoisie française, une grande partie du monde intellectuel, voire le peuple, la politique aidant, de l’esprit voltairien. Voltaire, pour les catholiques, continue à être l’ennemi. « Fils des croisés, dira le 16 avril 1844, à la tribune de la Chambre des pairs, le libéral Montalembert, nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire. » « Une citation de Voltaire, dira plus tard l’ultramontain Veuillot, se place tout naturellement dans la bouche des sots. » Cité par Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, t. i, art. M. Louis Veuillot, p. 43.

La vogue du positivisme et du scientisme diminuera quelque peu l’influence de l’esprit voltairien. Le culte de Voltaire résistera cependant. En 1878, un quotidien empruntera le nom de Voltaire. Benan, qui lui a été sévère, voir Études d’histoire religieuse, Paris, 1877, les Apôtres, Paris, 1866, p. {{rom|lvii}, … lui doit plus que la théorie sur la constatation scientifique du miracle. A. Houtin se souviendra de l’Essai sur les mœurs dans sa Courte histoire du christianisme, in-16, Paris, 1924, et telle théorie de J. Turmel, dans son Histoire des dogmes, t. iii, La papauté, in-8°, Paris, 1933, rappelle Voltaire. On lit dans la préface intitulée Voltaire démiurge, qu’a mise P. Souday à son édition des Mémoires de Voltaire : « Joie ! Joie ! Rires de joie ! Grâce à Voltaire, on respire, on vit. » Renan, au début, marqua surtout les différences, il reconnut ensuite que lui-même continuait Voltaire ; et il a dit dans Marc-Aurèle : « Lucien fut la première apparition de cette forme du génie humain, dont Voltaire a été la complète incarnation et qui, à beaucoup d’égards, est la vérité. » Parmi les disciples directs. plus récents, de Voltaire, il faut citer Anatole France.

Voltaire exerça aussi une influence sur l’Allemagne, non seulement par l’intermédiaire de Frédéric II, son disciple, mais par ses œuvres. L’Aufklärung, si complexe, et Lessing, l’éditeur des Fragments de Wolfenbüttel, 1774-1778, relèvent de lui à plus d’un titre. Cf. W. Gent, Die geistige Kultur um Friedrich den Grossen, in-8°, Berlin, 1936. Évidemment, il a une grande part dans l’échange d’idées qui se fait, au xviiie siècle, entre la France et l’Angleterre nationaliste. Voir col. 3403.

I. Éditions. — On a vii, col. 3400, les trois grandes éditions des Œuvres complètes de Voltaire et les principales éditions critiques de certains de ses ouvrages, auxquelles il faut ajouter : G. Ascoli, Voltaire, poète philosophe, Le Mondain, Discours sur l’homme, 5 in-4°, Paris, 1937. Du vivant de Voltaire parurent un certain nombre d’éditions complètes de ses Œuvres : la première à Amsterdam, 4 in-8°, 1738-1739 ; la dernière, 46 in-4°, commencée à Genève en 1768, ne sera terminée qu’en l’an IV.

Le Recueil nécessaire, in-8°, s. l. (Leipzig), 1765 (1766), comprenait sept libelles de Voltaire, entre autres : Le Catéchisme de l’honnête homme, le Sermon des Cinquante, l’Examen important. Voltaire y donna aussi avec de légères retouches, destinées à le rapprocher de ses idées, le Vicaire savoyard. Cf. R. Naves, Voltaire, éditeur de Rousseau, dans Revue d’histoire littéraire, 1937, p. 245-247, L’édition de Londres, intitulée, Recueil nécessaire ou l’évangile de la raison, 2 in-8°, 1768, comprend, en plus, de Voltaire : le Testament de Jean Meslier.

Un autre recueil, L’Évangile du jour, 18 in-8°, Londres (Amsterdam), 1769-1778, comprend, dans le t. i, uniquement des œuvres de Voltaire ; dans les suivants, des œuvres du même en plus mi moins grand nombre.

Sur la bibliographie de Voltaire, voir Bengesco, Bibliographie des Œuvres de Voltaire, 4 ln-8°, 1882-1890 : t. i,