Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/13

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La femme d’Antoine Rabelais, qui était une Dusoul, avait déjà donné trois enfants à son mari, Antoine l’aîné, Jamet le cadet, et Françoise, quand, vers 1495, elle mit au monde un dernier-né, François, qui devait égaler en savoir les plus savants hommes de son siècle et conter les plus divertissantes et les plus profitables histoires qui aient jamais été contées en ce monde. On croit que notre François naquit non point à Chinon même, mais à la Devinière, dont le souvenir lui est resté toujours si cher, que, à l’instant même, nous n’osions pas en rabaisser les vignes, de peur d’irriter ses mânes joyeux.

De trois à cinq ans, il passa son temps comme les petits enfants du pays : « c’est à savoir : à boire, manger et dormir ; à manger, dormir et boire ; à dormir, boire et manger. Toujours se vautrait par les fanges, se mascarait le nez, se chauffourait le visage, éculait ses souliers, bâillait aux mouches et courait volontiers après les papillons,… patrouillait en tout lieu… Les petits chiens de son père mangeaient dans son écuelle. » C’est l’enfance de Gargantua que je vous dis là. Celle de François Rabelais fut pareille, je vous assure.

Vers l’âge de neuf ou dix ans, l’enfant fut envoyé non loin de la Devinière, au village de Seuilly, où il y avait une abbaye dont, une quarantaine d’années auparavant, un Guillaume Rabelais avait été tenancier et qui conservait des