Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/163

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homme prudent, un mien ami, qui connaît le lieu, le pays et la contrée en laquelle est l’oracle et son temple. Il nous y mènera sûrement. Allons-y ensemble ; je vous supplie de m’y conduire. Je vous ai de longtemps connu amateur de voyages, désirant toujours voir et toujours apprendre. Nous verrons des choses admirables.

Pantagruel consentit à conduire Panurge à l’oracle de la Dive Bouteille, non sans en avoir demandé d’abord la permission au roi Gargantua son père, revenu, je ne sais comment, du royaume des fées. Et ce fils respectueux protesta en même temps qu’il ne se marierait jamais sans le consentement paternel. Ce qui permit à Gargantua de prononcer un discours éloquent, généreux, indigné, contre ceux qui induisent les enfants à se marier sans le su et aveu de leurs père et mère.

— Feraient-ils pis, s’écrie Gargantua, commettraient-ils un acte plus cruel, les Goths, les Scythes, les Massagètes, dans une place ennemie par longtemps assiégée et prise de force ? Ils voient les dolents pères et mères tirer hors de leur maison, par un inconnu, un étranger, un barbare, leurs si belles, délicates, riches et saines filles, qu’ils avaient nourries si chèrement, en tout exercice vertueux, disciplinées en toute honnêteté, espérant les donner en mariage, en temps opportun, aux enfants de leurs voisins et antiques amis, nourris et institués de mêmes