Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/159

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tiques. On y rencontre les deux extrêmes, encore une de ces anomalies qui en Russie nous ont fait ériger le contraste en loi. C’est un des pays où la mortalité est la plus grande, la vie moyenne la plus courte, et c’est un de ceux où il y a le plus de cas de longévité, où la vie humaine atteint au terme le plus reculé. Cette opposition est surtout frappante dans les contrées du nord. Dans le gouvernement de Novgorod par exemple, sur une population d’un million d’âmes, il est mort en une année (1871) vingt-neuf centenaires, ce qui en suppose davantage en vie[1]. À côté de cela, dans toute la Russie, le nombre des hommes qui dépassent trente-cinq ans est proportionnellement plus faible qu’en France ; le nombre des gens qui dépassent soixante ans est plus de deux fois moindre[2].

C’est surtout sur les enfants que frappe la mortalité. Sous ce ciel, l’apprentissage de la vie est plus pénible, l’enfant a besoin de plus de soins, et les soins sont moins aisés à lui

  1. Pamiainaïa knigka Novgorodskoï Gouberii na 1873 god. En 1878, le procureur du Saint-Synode, dans son rapport sur l’année 187ô, signalait 963 décès de centenaires parmi la population orthodoxe. — On dira peut-être qu’en Russie comme au Brésil, où les statistiques comptent également beaucoup de cas de longévité, les registres de l’état civil n’étaient pas, au dernier siècle, tenus avec assez de régularité pour qu’on puisse toujours avoir une entière confiance en de pareils chiffres.
  2. Sur 1000 habitants, on n’en compte pas en Russie 50 au-dessus de soixante ans, en France notablement plus de 100. Dans les gouvernements du nord, comme celui de Iaroslavl, la proportion des sexagénaires est plus forte, elle atteint 63 pour 1000 ; dans quelques-uns de ceux du sud, comme Kief, elle descend au-dessous de 30. (Statistit. Vrémannik de 1871 et 1879). Le chiffre élevé de la mortalité est d’autant plus remarquable que ce sont les pays du nord voisins, les trois États Scandinaves, où la mortalité descend au minimum. À cet égard, la Russie et la Scandinavie sont en Europe aux deux extrémités de l’échelle. Suivant le docteur Bertillon, sur 1000 habitants, il y aurait en Norvège 18 morts annuelles et en Russie 36, soit le double. Ce dernier chiffre, emprunté à des statistiques déjà anciennes, paraît exagéré. D’aprè8 les comptes rendus du département de la médecine au ministère de l’intérieur pour l’année 1877, la mortalité russe ne dépassait plus en moyenne 32,50 pour 1000 ou 3,25 pour 100. Dans quelques provinces du nord, telles que Perm, elle atteignait plus de 5 pour 100. En tous cas, le rapprochement avec la Scandinavie montre qu’à l’aide d’une meilleure hygiène et d’un meilleur régime, la durée moyenne de l’existence pourrait beaucoup s’accroître.