Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/421

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d’Alexandre II, de même qu’aujourd’hui, les révolutionnaires russes se sentaient séparés des masses populaires par un abîme ; sur cet abîme ils tentèrent de jeter un pont au moyen du raskol. Avec ses millions d’adeptes, dont le nombre semble d’autant plus effrayant qu’il est indéterminé, avec ses ramifications souterraines et ses secrètes affiliations d’un bout de l’empire à l’autre, le raskol semblait offrir à la révolution et aux ennemis politiques des tsars russes une prise sur le peuple. Où trouver une opposition plus facile à organiser que ces Églises populaires confinées dans les classes inférieures ou les classes ignorantes, tout en détenant une part notable des capitaux de la Russie, hostiles par éducation à l’ordre de choses établi et comptant de nombreux adeptes parmi les milices les plus guerrières de l’empire ? N’était-ce pas là le point vulnérable du colosse russe ? Ne pouvait-on réveiller chez les vieux-ritualistes l’esprit de révolte des Stenka Razine ou des Pougatchef, et soulever contre le tsar des sectaires qui voient en lui l’Antéchrist ? Il semblait qu’il n’y eût qu’à rapprocher ces forces éparses, et à leur donner une impulsion unique pour ébranler jusqu’en sa base le grand empire du nord.

L’épreuve a été tentée. Il vint aux vieux-croyants des avances de deux côtés différents, avances directes de la part de l’émigration révolutionnaire russe, avances détournées de la part de l’émigration révolutionnaire polonaise. La première rêvait d’unir dans un dessein commun la jeune Russie et la vieille Moscovie, la révolution athée et le conservatisme religieux ; la seconde songeait à l’alliance de deux choses non moins opposées : l’intérêt latin et polonais et le vieil esprit moscovite, schismatique des vieux-croyants. Pour gagner les raskolniks, les émigrés russes fondèrent à Londres une feuille spécialement destinée à la défense des intérêts du schisme. Ils lui prêtèrent leurs presses, ils lui envoyèrent des émissaires, ils traitèrent à Londres avec des représentants de la vieille foi ; —