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Ce matin-ci, chère Madame, est un matin de souhaits, et plût à Dieu que je répondisse à la description de l'apôtre Jacques : « La prière sincère, fervente d'un homme juste a grand pouvoir! » En ce cas, Madame, vous accueilleriez une année pleine de bénédic- tions , tout ce qui obstrue ou trouble la tranquillité et la joie intérieure serait écarté, el tous les plaisirs que la frêle humanité peut goûter vous appartiendraient. J'avoue que je suis tellement peu Presbytérien que j'approuve qu'on fixe des moments et des saisons pour des actes extraordinaires de dévotion, afin de briser cette routine coutu- mière de vie et de pensée, qui est si apte à réduire notre existence à une sorte d'instinct, ou même quelquefois, chez quelques esprits, à un état peu supérieur à celui de pure machine.

Ce jour-ci, le premier dimanche de mai, un midi avec une brise légère et un ciel bleu vers le commencement de l'automne , un matin blanchâtre et un calme jour soleillé vers la fin de la même saison, ont toujours été pour moi, aussi loin que je me rappelle, une sorte de fête. Non pas pour prendre la physionomie sacramentelle, dure comme celle d'un bourreau , des communions de Kilmarnock ; mais pour riie ou pleurer, être joyeux ou pensif, moral ou religieux, selon l'humeur et la tournure de la saison et de moi-même. Je crois que je dois cela à ce magnifique article du Speclalor « la Vision de Mirza », ce morceau qui frappa ma jeune imagination, avant que je fusse capable de fixer une idée sur un mot de trois syllabes. « Le cinquième jour de la lune, que, selon la coutume de mes ancêtres, j'observe comme un jour saint, après m'être lavé et avoir élevé vers le ciel mes dévotions du matin, je montai la haute colline de Bagdad, pour passer le reste du jour en méditation et en prière i. »

Nous ne connaissons rien, ou à peu près rien, de la substance ou de la structure de nos âmes. C'est pourquoi nous ne pouvons expliquer leurs caprices apparents, pour- quoi telle d'entre elles est particulièrement charmée de cette chose-ci, ou frappée de cette autre, qui, sur des esprits d'un tour ditî'érent, ne font pas d'impression extraordi- naire. J'ai des fleurs favorites parmi lesquelles sont la pâquerette des montagnes, la campanule, la digitale, la rose de l'églantier, le bouleau en bourgeons et l'aubépine blanche; je les contemple, je m'attarde près d'elles avec un délice particulier. Je n'entends jamais le sifflement aigu, solitaire, du courlis, par un midi d'été, ou la cadence sauvage, confuse d'une bande de pluviers gris, par un matin d'automne, sans ressentir une élévation d'àme qui ressemble à l'enthousiasme de la Dévotion ou de la Poésie. Dites-moi, ma chère amie, à quoi cela peut-il être dû? Sommes-nous une simple machine passive qui, comme la harpe éolienne, prend l'impression de l'accident qui passe? Ou bien ces mouvements sont-ils la preuve de quelque chose en nous au-dessus de la vile argile? J'avoue que j'ai une faiblesse pour ce genre de preuves de redou- tables et importantes réaUtés: un Dieu qui a fait toutes choses — la nature immaté- rielle et immortelle de l'homme, et un monde de félicité ou de malheur par delà la mort et la tombe— je veux dire ces preuves que nous déduisons au moyen de nos propres pouvoirs d'observation. Bien que des individus respectables aient existé dans tous les âges, j'ai toujours considéré que le genre humain en bloc ne vaut guère mieux qu'une plèbe sotte, entêtée, crédule, irréfléchie; sa croyance universelle a très peu de poids pour moi. Néanmoins je suis un très sincère croyant en la Bible; mais j'y suis attiré par la conviction d'un homme et non par le licol dun âne 2.

Et veut-on voir quel était le ton moral de cette famille? Au moment même où Burns écrivait cette page, là-bas, dans la vieille maison de Mossgiel, Gilbert envoyait à son aîné une lettre de souhaits, qui avait

1 Addison. Spectator, n° 159.

2 To M^^ Dunlop, New-year-Day Morning, 1189.