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porte ? Ils diffèrent en tout ; ils n'ont qu'un seul point commun : la raillerie.

Est-ce là tout ? Faut-il se bornera dire que les humoristes sont des railleurs et que l'humour est la raillerie? Ce ne serait pas la peine d'aller chercher un mot étranger pour rendre une idée dont on avait l'expression sous la main. En y regardant de plus près, quelque chose vient s'ajouter à ce premier trait. Il y a un autre élément nécessaire à l'humour, ou, en d'autres termes, un second point commun à tous ceux qu'on appelle des humoristes. C'est le sens de la vie réelle, le contact direct avec elle. L'éloquence, la poésie, l'esprit, peuvent être parfaitement abstraits, exister à une grande distance des choses. L'humour a besoin de s'appuyer sur elles. Il ne naît qu'au milieu du concret ; il trouve ses matériaux et sa nourriture dans le tangible ; il lui faut des faits particuliers ; il vit de l'observation immédiate de ce qui l'entoure. Prenez de nouveau tous les grands humoristes, Aristophane, Cervantes, Rabelais, Shakspeare, Swift, et voyez comme ils ont été de minutieux connaisseurs même des petits faits et des petits objets de la vie. Les humoristes un peu inférieurs à ceux-là, parce qu'ils sont plus littéraires et que leur humour est plus dans la forme. Sterne, Addison, Thackeray, remplacent la largeur d'observation par la finesse, et nourrissent leur raillerie des miettes de la réalité. Sans connaissance de la vie, sans remarques particulières, individuelles, il n'y a pas d'humoristes. Il peut y avoir des écrivains caustiques et spirituels qui darderont dans l'abstrait des mots affilés, mais qui ne mériteront jamais le mot substantiel et plein d'humoristes. Pour l'obtenir, il faut avoir dans la main ne fût-ce qu'une poignée de faits réels. Autrement, on n'est qu'un homme d'esprit. C'est grâce à cette solidité d'observation, que la foule est pleine d'humour*. Qui n'a rencontré de ces hommes du peuple, surtout de ceux que leur métier mêle à beaucoup de monde, comme les aubergistes, les conducteurs de voitures publiques, qui ont un intarissable fonds d'observation et de drôlerie? Ce ne sont pas des gens d'esprit ; ce sont des humoristes. Il n'y a pas d'autre terme pour les désigner, et l'impossibilité oîi nous serions de les définir autrement explique pourquoi nous avons emprunté ce mot d'humour dont nous n'avons pas l'équivalent.

Cette condition que l'observation doit rester particulière et concrète pour constituer l'humour nous paraît indispensable. Dès qu'elle se fait abstraite, dès qu'elle se dépouille de son enveloppe d'incidents, de faits,

1 Voir, à ce sujet, de justes remarques dans un article du Guardian, n" 144, Wednes- day, August 26tli. — Swift, qui s'y connaissait, dit: « De même qu'un goût pour l'humour est purement naturel, ainsi l'est l'hiimour lui-même. Ce n'est pas un talent conliné aux hommes d'esprit et de savoir ; car nous l'observons quelquefois chez des domestiques communs et chez les plus has du peuple, tandis que ceux qui le possèdent ignorent souvent le don qui leur est échu. » Nous avons trouvé cette phrase de Swift dans un recueil de pensées, intitulé : Laconics, vol. i, n" 842.