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« L'humour tire ses matériaux des situations et des traits de caractères * », et plus loin : « L'humour a surtout pour fonction de représenter et de décrire ^ ». N'est-ce pas encore, dans la même direction, une remarque d'une grande importance que celle de Jean-Paul , qui signale qu'un caractère spécial de l'humour est d'éviter soigneusement les termes généraux, de rechercher la familiarité pittoresque, et de subdiviser l'expression et la pensée jusqu'aux limites les plus extrêmes de la particularisation? 2 Sir William Temple avait déjà dit longtemps aupa- ravant avec une grande justesse : « L'humour n'est qu'une peinture de la vie particulière, comme la comédie l'est de la vie générale, et bien qu'il représente des dispositions et des habitudes moins communes, elles ne sont cependant pas moins naturelles que celles qui sont plus fréquentes parmi les hommes ; car si l'humour lui-même est forcé, il perd toute grâce ; ce qui , à .la vérité , a été le défaut de quelques-uns de nos poètes les plus célèbres en ce genre ^ ». Sans insister sur la première

1 George Eliot. Essay on Henrich Heine. ' J

2 Le passage de Jean-Paul Richter est si instructif et probant qu'il est utile de le citer presque en entier. Il met tout à fait en relief la nécessité de ce quelque chose de concret sur lequel nous insistons : « Comme, sans les sens, il ne peut y avoir de comique, les attributs perceptibles, en tant qu'expression du fini appliqué, ne peuvent jamais, dans l'objet humoriste, devenir trop colorés. Il faut que les images et les contrastes de l'esprit et de l'imagination, c'est-à-dire les groupes et les couleurs, abondent dans l'objet pour remplir l'âme de ce caractère sensible. . . .

Nous allons étudier en détail le style de l'humour qui a la double propriété de méta- morphoser son objet et de parler aux sens. D'abord il individualise jusqu'aux plus petites choses, et même jusqu'aux parties de ce qu'il a subdivisé. Shakspeare n'est jamais plus indiinduel, c'est-à-dire ne s'adresse jamais plus aux sens que lorsqu'il est comique. Aristophane, pour les mêmes raisons, olfre plus qu'aucun autre poète de l'antiquité, les mêmes caractères.

Le sérieux, comme on l'a vu plus haut, met partout en avant le général, et nous spiritualise tellement le cœur qu'il nous fait voir de la poésie dans l'anatomie, plutôt que de l'anatomie dans la poésie. Le comique, au contraire, nous attache étroitement à ce qui est déterminé par les sens ; il ne tombe pas à genoux, mais il se met sur ses rotules, et peut même se servir du jarret. Quand il a, par exemple, à exprimer cette pensée : « L'homme de notre temps n'est pas bête, mais pense avec lumière : seulement il aime mal », il doit d'abord introduire cet homme dans la vie sensible, en faire, par conséquent, un Européen, et plus précisément un Européen du xix^ siècle ; il doit le placer dans tel pays et dans telle ville, à Paris ou à Berlin ; il faut encore qn'il cherche une rue pour y loger son homme.

On pourrait poursuivre cette individualisation comique jusque dans les moindres choses... Voici encore d'autres minuties à l'adresse des sens: on choisit partout des verbes actifs dans la représentation propre ou figurée des objets ; on fait, comme Sterne et d'autres, précéder ou suivre chaque action intérieure d'une courte action corporelle ; on indique partout les quantités exactes d'argent, de nombre et de chaque grandeur, là où on ne s'attendait qu'à une expression vague ; par exemple : « un chapitre long d'une coudée » ou <( cela ne vaut pas un liard rogné ...»

A cette catégorie des éléments du comique se rattachent encore les noms propres et techniques . . . On peut rapporter encore aux caractères sensibles de l'humour la para- phrase, c'est-à-dire la séparation du sujet et du prédicat, qui souvent peut n'avoir pas de fin et qu'on peut imiter surtout d'après Sterne, qui lui-même a eu Rabelais pour guide. Quand, par exemple, Rabelais voulait dire que Gargantua jouait, il commençait (1. 22). Là jouait : au flux, à la prime, à la vole, à la pille, etc., il nomme deux cent seize jeux. Poétique, § 35. (Traduction Alex. Buchner et Léon Dumont).

3 Laconics, tom III, -p. 38,