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phrase , si expressément claire , qui ne sent que ce naturel nécessaire à l'humour vient de ce que toute représentation de vie qui manque de cette qualité est radicalement factice. Enfin, L'Estrange remarque que « l'observation est nécessaire pour toute critique, spécialement pour celle du genre qu'on trouve dans l'humour ^ ». Tous ces écrivains, qui varient sur tous les autres points , sont d'accord pour celui-ci. Il se glisse en dépit d'eux dans leur analyse de l'humour et , bien que négligé, mis à un rang qui n'est pas le sien, il est partout ^.

Ainsi, la raillerie d'une part, le contact avec la vie réelle de l'autre, tels semblent être les éléments de l'humour ou, pour répondre à l'expres- sion de M. Scherer, tels sont les deux seuls caractères qui soient communs à tous les écrivains désignés sous le nom d'humoristes. Si nous avions à définir l'humour, nous dirions que c'est la raillerie dans l'observation ou la représentation directe et concrète de la vie, — ou au moyen d'elles.

Cette formule a, tout au moins, l'avantage d'être assez large pour loger cette grande foule bigarrée d'écrivains ou de personnages, entre lesquels les autres formules font un choix arbitraire, laissant entrer les

1 L'Estrange. Bistory of English Humour, tom II, p. 252.

2 Nous trouvons, dans les Remarques sur les écrits d'Allan Ramsay, de lord Woodhouselee, une confirmation et, pour employer l'expression anglaise, une illustration singulièrement curieuse de la théorie de l'humour que nous essayons de dégager. C'est la comparaison de deux descriptions du matin, empruntées l'une à VHudibras de Butler, l'autre au Ch7'isl's Kirk on Ihe Green de Ramsay. On verra quelle importance l'auteur donnait à l'observation réelle, concrète dans la composition de l'humour.

(( Qu'on nous permette ici. en passant, de noter la différence entre la composition spirituelle et humoristique. Butler et Ramsay possédaient tous deux de l'esprit et de l'humour, à un degré peu ordinaire ; mais la première de ces qualités dominait dans le poète anglais, la seconde, dans le poète écossais. Butler décrit ainsi le matin, comique- ment, mais avec esprit :

Depuis longtemps le soleil, dans le giron

De Thétis, avait fait son somme,

Et, comme un homard bouilli, le matin

Commençait à passer du noir au rouge.

Ceci plaît comme un passage ingénieux et spirituel. La bizarrerie de la comparaison nous fait sourire, mais ce n'est pas une peinture exacte de la nature et par conséquent ce n'est pas de l'humour. Or, remarquez l'humour avec lequel Ramsay décrit l'aurore qui se lève sur sa gaie compagnie à un mariage ; il faut excuser un peu de grossièreté, sans elle, le tableau n'aurait pas été fidèle.

Maintenant, du coin est de Fife, l'aurore

Grimpa vers l'ouest dans le ciel.

Les fermiers, entendant que le coq avait chanté,

Commencèrent à s'étirer et à roter ;

Les fermières avares, en bâillant de travers,

Crièrent : « Les filles à l'ouvrage ! »

¥ Les chiens aboyèrent, et les gars du coup

Sautèrent sur leurs culottes comme la grêle,

Au point du jour.

L'humour doit être conforme à la nature : c'est la nature vue dans ses aspects absurdes et comiques. L'esprit donne une ressemblance apparente et fantaisiste à la nature, son essence même exige une opposition avec elle »,

Il est inutile de faire remarquer que ce passage vient tout à fait à l'appui du passage de Jean-Paul Richter.