Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/18

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— XIV —

que celui de la vie ou des vêtements. Dès que les besoins essentiels sont sauvegardés, dès que l'homme ne souffre pas, cela suffit pour sa gaîté ; c'est assez que le ciel ne l'écrase pas sous une calotte de glace ou de flamme, soit assez modéré pour permettre, des réactions. Il faut encore ne pas oublier que , malgré les renseignements que nous jjossédons , nous ne connaissons que les gros reliefs de la vie de Burns , que bien des détails, et peut-être des plus importants , nous échappent. Et là encore il faut se garder de prendre pour des causes qui forment l'âme des crises qui modifient la vie et ne sont elles-mêmes que des résultats et des mani- festations.

En réalité, nous ne savons rien de la mystérieuse genèse du génie de Burns. Sa véritable formation est probablement un hasard mystérieux par lequel des qualités éparses dans plusieurs races ou phisieurs générations se réunissent en un seul homme, se rencontrent ; un confluent impéné- trable de mille hérédités, transmises parfois d'une façon latente, qui se fondent en un don, nourri et éveillé ou plutôt exercé par mille faits d'en- fance, inaperçus de l'enfant lui-même : premières émotions de nature éprouvées sans être perçues, premières agitations du cœur, travaux, misères elles-mêmes, tout cela se combinant en des proportions indéchif- frables. Et, à vrai dire, ce génie lui-même, cette âme nous ne pénétrons pas en elle, nous ne la suivons que de loin, par de grossiers contours. Même dans les rapports intimes avec ceux qui nous entourent , nous ne percevons les uns des autres que des apjjarences envelo])pées et lourdes. Nul doute que le mécanisme, le jeu intérieur des âmes ne soient inimagina- blement plus complexes, plus riches, plus nuancés que les actes elles paroles qui nous les révèlent. Nous ne possédons de Burns que certains moments de lui qui sont ses œuvres. Elles sont loin de nous livrer son être entier. Les origines et la formation de la force qui les a créées nous restent inaccessibles ; de cette force elle-même nous ne connaissons que les empreintes ; nous pouvons les étudier avec autant de soin que nous le voulons, nous ne les dépasserons pas.

Nous faisons donc franchement et uniquement ce qu'on a appelé de la critique esthétique. La pauvreté des résultats et, chose plus grave, la fausseté des méthodes des critiques qui se disent nouvelles et supérieures, nous garderont de nous y aventurer. Bien que pratiquées par des esprits ingénieux, nourris, et assez forts pour passer à travers ou assez souples pour glisser entre les faits, elles aboutissent, par des voies arbitraires, à des conclusions insoutenables ou tellement dépouillées qu'elles perdent toute signification. En outre, elles ont, pour être ce qu'elles prétendent, ce vice radical qu'elles reposent entièrement sur la critique esthétique , tout en la déclarant insuffisante ou démodée. Les généralisations et les juge- ments qu'on s'efforce de tirer des œuvres littéraires ou artistiques doivent,