Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— 176 —

ont détourné une imagination si diverse et si vigoureuse, unie à un langage et à une force d'expression capables de suivre tous ses change- ments, de laisser un monument plus substantiel, pour sa gloire et pour l'honneur de son pays * ». Et Lockhart écrit avec non moins de conviction: a La cantate des Joyeux Mendiants ne peut être prisée à sa valeur sans augmenter notre regret que Burns n'ait pas vécu pour exécuter le drame qu'il méditait. Cette extraordinaire esquisse, rapprochée des pièces lyriques d'un ton plus élevé, fruit de ses dernières années, suffit à montrer que nous avions en lui un maître capable de placer le drame musical à la hauteur de nos formes classiques les plus élevées... Sans manquer de respect au nom de Shakspeare, on peut dire que son génie même aurait à peine pu, avec de tels matériaux, construire une pièce dans laquelle l'imagination aurait plus splendidement recouvert l'aspect extérieur des choses, dans laquelle la puissance de la poésie à éveiller la sympathie se serait plus triomphalement déployée au milieu de circonstances de la plus grande difficulté ^ ». Telle est aussi la pensée de Shairp ^. Les duretés de la destinée et ses propres fautes ont empêché le poète d'aller aussi loin, de recueillir tout ce qu'il y avait de semé pour lui. Cette fête rustique que les paysans écossais célébraient quand la dernière gerbe de la moisson était entrée dans la grange et qu'ils appelaient Kim, ne devait pas avoir lieu pour lui. Son génie est un champ à moitié récolté. C'est en perdant ces comédies populaires qu'il a perdu la meilleure partie de sa gloire.

L'Ecosse, de son côté, y a peut-être perdu l'unique occasion qu'elle ait eue d'avoir un théâtre national. C'est un genre littéraire où elle est d'un dénûment absolu. Ce n'est pas que le génie écossais manque de qualités dramatiques ; il y en a assurément dans Walter Scott, dans Wilson, et aussi dans Carlyle. Ce sont les événements politiques qui ont empêché le drame de prendre racine. L'Ecosse était tombée, dès la Réformation, entre les dures mains du puritanisme. En 1563 , quand le règne d'Elisabeth ne comptait encore que cinq ans et commençait à peine sa carrière de luxe et de prodigalités, d'élégance éblouissante et de poésie, le lugubre John Knox était le maître d'Edimbourg et grognait contre la danse. Il admonestait les filles d'honneur de la reine , « les Maries » de la reine, comme on les appelait, en leur disant que les vers hideux travailleraient sur cette chair si belle et si tendre. La tristesse puritaine pesait déjà sur cette contrée. Il s'en fallait d'un quart de siècle que la première pièce de Shakspeare fût représentée. C'était un an avantla naissance de Shakspeare, et dix ans avant celle de Ben Johnson. Si l'Angleterre avait été arrêtée au

1 Walter Scott Quarlerly Review, n° i, p. 33. On trouvera d'ailleurs cet essai sur Burns, daus le recueil des œuvres critiques de Walter Scott.

2 Lockhart. Life of Burns, p. 318.

3 Shairp. Burns, p. 125-26.