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ils n'ont nullement l'intention d'être des comparaisons et d'établir des jugements. Ils ont simplement pour objet, en évoquant une impression

et Déranger, publié dans la Nineteenth Century, N° 3T, March 1880. Nous tairons le nom de l'auteur, dont les travaux sont utiles et dignes d'estime.

(( Burns et Béranger furent tous deux grands et populaires, et tous deux exercèrent une grande influence sur les esprits de leurs compatriotes. Burns trouva la littérature lyrique de l'Ecosse corrompue et licencieuse, et la laissa pure. Béranger trouva la littérature lyrique de la France tout ensemble impure et frivole, et la laissa encore plus impure et plus fk-ivole. Tous deux ont chanté l'amour ; mais l'amour qui trouva faveur auprès de Burns était naturel, sincère et sortait franchement du cœur. Celui qui fut célébré par Béranger était impudique et théâtral et dépendait entièrement d'un prurit de l'imagination. Il était impossible à l'Ecosse de produire un Béranger ; il était également impossible à la France de produire un Burns. Tous deux étaient patriotes et empruntèrent leur inspifation au souvenir des gloires passées de leurs pays. Burns entretint dans l'esprit de ses compatriotes un amour intense de l'Ecosse, sans haine- d'un autre pays ; tandis que Béranger, bien qu'il ait inculqué l'amour de la France, a inculqué encore plus fortement l'amour de la gloire militaire qui ne peut s'acquérir que par un état de guerre avec les autres nations. Plus de trois quarts de siècle se sont écoulés depuis la mort de Burns et sa i-enommée, petite à cette époque et à peine parvenue en Angleterre, a augmenté graduellement jusqu'à faire le tour du globe. Chaque année, le 25 janvier, l'ainiiversaire de sa naissance est célébré comme s'il était le saint et le patron de l'Ecosse. Un quart de siècle s'est à peine écoulé depuis les funérailles publiques de Béranger, sa renommée qui alors ombrageait la terre a été en diminuant graduellement. De nos jours elle est presque entièrement confinée en France et à une petite portion de ses concitoyens ».

Est-il nécessaire de faire remarquer au moyen de quelles violations de la vérité, de quelle ignorance des faits, de quel oubli des circonstances, de quelles affirmations stupéfiantes, on élabore de pai-eils rapprochements. Que l'auteur de cet article connaisse mal Béranger ; qu'il oublie que lorsqu'un peuple est envahi et meurtri par l'étranger ' il n'y a pas de patriotisme sans haine de l'étranger et que le Vieux Drapeau, le Cinq Mai, le Violon Brise, le Vieux Sergent, les Souvenirs du Peuple sont des poèmes de sentiment national aussi légitime^ et plus poignants que l'Ode de Bruce ou les Volontaires de Dunifries ; qu'il ignore qu'a côté de cela Béranger a chanté le patriotisme pur dans le Retour dans la Patrie et les Hirondelles, la liberté des autres nations dans le Pigeon Messager, et la paix du monde dans la Sainte Alliance des Peuples ; qu'il ignore la belle pitié qui a inspiré le Vieux Vagabond ; qu'il n'ait pas compris la sincérité de sentiment qui vit dans Le Grenier, et dans cette charmante pièce de la Bonne Vieille ; qu'il ne sache pas que les pièces anticléricales de Béranger ne sont pas si loin des satires de Burns ; qu il n'ait pas aperçu qu'une des causes de la popularité de Béranger a été précisément d'avoir mis de hauts et nobles sentiments à la portée du peuple, et d'avoir donné un des rares exemples de poésie populaire ; qu'il ne se doute pas de mille autres nuances ; cela n'a rien d'étonnant. Il a seulement eu le tort de parler d'un sujet qu'il avait insuffisamment étudié. Mais on croirait qu'il ne connaît pas beaucoup plus Burns, si l'on ne se rappelait ses autres travaux et sa compétence dans les choses d'Ecosse. Où a-t-il pu prendre cette singulière affirmation que la littérature lyrique de l'Ecosse était, avant Burns, corrompue et licencieuse ? Il s'y trouvait des chansons grossières, comme dans toutes les littératures populaires, mais ni la collection des ballades, ni celle des chansons, avec leurs pièces pures et exquises, ni celle des petits poèmes, ni les morceaux de Ramsay ou de Fergusson ne constituent rien de corrompu ni de licencieux. Oîi a-t-il vu que Burns avait laissé pure cette même littérature ? 11 a retouché quelques chansons, il leur a enlevé des mots trop grossiers, il a fait leur toilette pour qu'elles pussent entrer dans les salons et être chantées par les dames au piano-forte, mais il en a laissé pour son compte qui valent bien celles de Béranger. La pièce à Anna Park vaut bien les pièces à Lisette ; ni la Bonne tille, ni Madame Grégoire, ni la Double Chasse n'ont rien qui n'ait plus que leur équivalent dans Burns, sans parler des Merry Muses of Caledonia. Rien ne reste debout. de ces étranges affirmations quand on les examine de près. Et voilà comment un homme judicieux, pour vouloir accoler deux sujets qui ne vont pas ensemble, essaye de les faire gauchir et ne rapproche en réalité que des faussetés, des erreurs, et des niaiseries. 11 ferait croire qu'il ne connaît ni l'un ni l'autre des poètes dont il parle, si ses travaux d'autre part ne nous persuadaient qu'il doit en connaître un.