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LE PESSIMISME BRAHMANIQUE

migration et de la délivrance considérées, celle-là comme la condition générale et plus on moins malheureuse de tous les êtres vivants, celle-ci comme un moyen héroïque pour l’âme individuelle d’échapper au triste servage de la matière en s’identifiant pour jamais à l’âme universelle. Depuis l’époque où ces précieux documents ont été composés, les brâhmanes en général n’ont plus cessé de faire de la métempsychose la base de leur pessimisme, et toutes leurs préoccupations religieuses ont été dirigées vers le soin de s’en affranchir.

Dans le plus ancien des ouvrages dont je viens de parler, dans la Brihad-Aranyaka-Upanishad, plusieurs passages témoignent de la persuasion où l’on était déjà que vivre et revivre constituent plutôt une calamité qu’un privilège enviable. Je citerai quelques-uns des morceaux où des idées de ce genre se trouvent exposées.

Au chapitre iii (8, 10), un sage légendaire, nommé Yâjnavalkya, qui joue un grand rôle dans les écrits philosophiques qui se rattachent aux Védas, déclare, après avoir dépeint la nature purement idéale de Brahma, ou de l’âme suprême, et sa puissance infinie, que quiconque quitte ce monde en l’ignorant est malheureux, c’est- à-dire continue d’être soumis à la transmigration, car le moyen de s’y soustraire est précisément de connaître l’âme suprême, à laquelle l’âme individuelle s’unit par le seul fait de la perception mentale ou de l’intuition.

Au chapitre iv (3, 21), le résultat de cette réunion de l’âme individuelle à l’âme universelle est indiqué comme constituant un état de félicité inconsciente qui ne semble pas différer beaucoup du nirvana bouddhique. « L’âme individuelle, est-il dit, embrassée par l’âme universelle, ne connaît plus rien d’extérieur ni d’intérieur ; c’est la forme sous laquelle, ayant obtenu ses désirs, n’ayant que l’âme universelle pour désir, sans désirs, elle n’éprouve plus aucune peine. »

Au même chapitre iv (11, 14), l’auteur inconnu de l’ouvrage cite des vers dans lesquels il est dit :

« Ceux qui adressent leur culte à l’ignorance entrent après leur mort dans l’obscurité aveugle, et ceux qui trouvent plaisir à la science (temporelle, à celle qui fait connaître et qui perpétue par la transmigration les choses d’ici-bas) entrent dans une obscurité plus profonde encore.