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LE RÂMÂYAṆA.

Leurs auteurs enseignent aussi bien, tout comme les buddhistes, le nirvâṇa, qu’ils nomment le brâhmanirvâṇa, la disparition ou l’anihilalion de l’homme dans le grand Tout, im All, que l’admirable maxime pratique de Çàkya, de ne pas faire aux autres ce qui est désagréable à soi-même^^1, sans songer le moins du monde que l’inégalité native des hommes est, sous la forme dogmatique où ils l’établissent, contradictoire au premier chef des doctrines du nirvâṇa et de la maitrî universelle.

Quoiqu’il en soit, Râma se montre presque constamment à nos regards comme un phare de l’ordre établi, rita, et de la vérité, satya, ces deux fruits par excellence du tapaḥ, la flamme de la méditation pure^^2. Avec lui, on croit avoir cent pieds de haut. Non seulement il connaît mais il aime le devoir, धर्मजो धर्मवत्सलः (dharmajo dharmavatsalaḥ)^^3 ; jamais sa bouche ne profère un mensonge^^4, il est sans péché, anagha, comme Socrate^^5, Caton l’ancien^^6 et Jésus^^7 et, dieu me pardonne, comme J. J. Rousseau^^8 et Marat^^9 ; il pousse la vertu jusqu’à aimer ses ennemis : धर्मज रिपूणामपि वत्सल (dharmaja ripûṇâmapi vatsala)^^10 ; il est, en un mot, le plus vertueux des vertueux, धर्मभृतं वरः​ (dharmabhṛtaṃ varaḥ)^^11. Voyez le sincère enthousiasme avec lequel il chante le magnifique éloge de la vérité. Quoi d’étonnant d’ailleurs. N’est-il pas, quoiqu’à son insu, Vishnu fait homme ! नारावणां नमस्कृन्वनरं (nârâvaṇâṃ namaskṛnvanaraṃ) À son insu, dis-je, car il se croyait simplement un enfant de Manu^^12 et il célébrait les agnishtomas, les offrandes sacrificatoires au feu pour obtenir le svarga de tout le monde, lui, le maître du svarga suprême. Mais dieu ou homme, il était noble d’extraction et noblesse oblige en tout état de cause. C’est-ce dont ne se doute pas le méchant Râvaṇa qui accuse notre héros d’être un homme dur, sans mœurs et esclave des sens, ajitendrayaḥ^^13. D’ailleurs Râma a été à bonne école, ayant été élevé par

1 Code de Yajnavalkya, III, 65 : अतो यदात्मनोऽपथ्यं परेषां न तदायरेत् (ato yadâtmano’ pathyaṃ pareśaṃ na tadâyaret).

2 Cf. R. V. X, 190. Nous reviendrons sur cet hymme.

3 Râm., IV, 7, 19.

4 Ib. ib. 6, 22.

5 V. Xénophon, Memorabilia, IV. 8.

6 Sallust., Catil. 52.

7 Marc, VI, 15 ; Joan. V, 46, al.

8 V. Confessions, pp. 488 et al. ; 1844.

9 V. Alf. Bongeart, Marat.

10 Râm., VI, 26, 40.

Il Ib.. ib, 99, 4 et al,

12 आत्मनं मानुषं मन्ये (âtmanaṃ mânushaṃ manyê) (Ib., ib., 102, 10).

13 Ib., III, 40, 16. — V. aussi les reproches de Bâli.