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LE RÂMÂYAṆA.

le fils Ikshvâku fut l’ancêtre de la lignée de Râma. Mais notre héros n’est pas ébloui par l’éclat de cette généalogie et n’y voit pas un motif suffisant pour reprendre le glorieux trône d’Ayodhyâ. En vain Bharata lui annonce qu’il ne s’en ira pas jusqu’à ce que l’exilé ait fait droit à sa prière. Ces sortes de contrainte sont dans l’Inde des moyens assez souvent employés, et celui qui est le devoir même, dharmâtmâ sa, en est ému. Il se donne beaucoup de peine pour faire renoncer son frère à celle résolution gênante. Heureusement que des munis viennent en troupes par des roules aériennes pour lui prêter l’appui de leur éloquence, de sorte qu’enfin le vertueux fils de Kaikéyî renonce, bien que fort affligé, à obtenir ce qu’il désire[1], et se décide à s’en retourner à Ayodhyâ. Toutefois il y met la condition, qu’il ne gardera la couronne qu’à titre de dépôt, nyâsadharmât. En foi de quoi, Ràma donne à Bharata l’investiture du royaume par ses deux souliers, qu’il ôte pour les lui remettre : पाहुके व्यापरोप्य च प्रायच्छत तसा भरताय. Cette chaussure sera à Ayodhyâ la marque symbolique du souverain légitime absent. La coutume est assurément curieuse et rappelle celle toute semblable que pratiquaient les Hébreux. « Il y avait une ancienne coutume entre les parents en Israël, lisons nous dans le livre de Ruth, que si l’un donnait son droit à l’autre, afin que la cession fût valide, l’homme déliait sa chaussure et la donnait à son parent. Celait le témoignage de cession en Israël[2]. » Pour Bharata, il plaça les souliers de Râma sur sa tête : तत: शिरसि कृत्वा तु पादुके, remonta sur le char qui l’avait amené et reprit le chemin du palais de son père. Et désormais c’est au nom des souliers de Râma qu’il donna tous ses édits : भरत: शासनं सर्वं पाजुकाभ्यां न्यवेदयत्[3].


Maintenant, avec le livre III, le poète introduit dans le tissu de notre

  1. Râm., 122, 29.
  2. Ruth, IV, 7 sqq.
  3. Râm., II, 127, 17. En Chine aussi la chaussure joue un rôle qu’il est curieux de signaler. Quand un magistrat quitte un endroit, par suite de sa nomination à un grade supérieur, il laisse à la porte du Yamen ou prétoire une paire de bottes qu’ensuite on suspend au dessus de la porte. (Voy. Imbault Huart, Miscellanées Chinois, dans le Journ. As., XIX, 1882, p. 631). N’est-ce pas la aussi un symbole de transmission ? — Charles XII suivait cette tradition, quand il écrivit au Sénat de Suède que s’il prétendait gouverner, le roi lui enverrait une de ses bottes, et que ce serait d’elles dont il faudrait qu’il prit ses ordres. (Voltaire, Hist. de Charles XII, p. 314 ; 1756.)