Page:Anville Nouvel atlas de la Chine - Page08.jpg

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L’un & l’autre sexe se sert aussi des mêmes bonnets & coëffures, à cela près, que les femmes, & surtout les filles, parent les leurs de clinquant, de petites monnoyes, & de Perles Chinoises. La seule marque à laquelle on peut distinguer les femmes d’avec les filles, c’est que les femmes portent sous les bonnets un linge long, lequel, après lui avoir fait faire le tour du col, elles noüent par derriere, de sorte qu’un bout de ce linge pend le long des reins.

§. 14. Le pays est très abondant en toutes sortes de fruits & en Vin. La chaleur de l’été y est si excessive, qu’on a de la peine à la supporter hors des maisons.

§. 15. Les habitans ont ordinairement le teint bazané, & la chevelure noire , bien qu’il y en ait aussi qui sont fort blancs , beaux & bienfaits.

§. 16. Ils ne manquent pas de politesse, & ils sont surtout bienfaisans envers les étrangers.

§. 17. Ils font naturellement avides de gain, & adonnez au trafic. Ils en font beaucoup dans la Chine, en Perse, aux Indes , & en Russie. Ils sont tellement versez dans le negoce , que ceux qui commercent avec eux, à moins de s’y bien connoître, ne manquent jamais d’être surfaits ou dupez.

§. 18. Ils n’ont d’autre argent monnoyé que des Copeiks de cuivre, qui pesent un Solotnik , c’est-à-dire à-peu-près le tiers d’une once. Lorsqu’ils ont de gros payemens à recevoir ou à faire, en or ou en argent, ils les règlent par la balance. Ils suivent en cela l’exemple des Chinois & d’autres de leurs voisins.

§. 19. Leur Langue ainsi que leur Religion differe en bien de choses de celle des Turcs & des Persans, & ressemble néanmoins à l’une & à l’autre.

Ils ont leur Alcoran, qui est le Vieux Testament des Chrétiens, mutilé & falsifié en bien des endroits. Ils n’en attribuent pas la composition à Mahomet, mais à Dieu même, qui l’a communiqué aux hommes, disent-ils, par le moyen de Moïse & des Prophetes. Mais ils sont persuadez que Mahomet en a fait une explication , & en a tiré une morale qu’ils sont obligez de reconnoître & de suivre.

§. 20. Voici l’idée qu’ils se sont de Jésus-Christ.

„ La Sainte Vierge, disent-ils, étant une pauvre orpheline, ses plus proches parens ne purent s’accorder, qui d’entre eux seroit chargé de son éducation. Pour terminer leur dispute, ils convinrent de la décider par le fort. Ils jetterent une plume dans un vase rempli d’eau, & y tremperent tour-à-tour chacun un doigt. La convention portoit, que celui au doigt duquel la plume s’aisacheroit de manière qu’il pût la retirer de l’eau, seroit le pere nouricier de l’enfant. Tous y perdirent leur peine, à la reserve de Zacharie. La plume, quoiqu’elle fût allée au fond de l’eau, vint s’attacher à son doigt & lui fit adjuger l’éducation. Il s’en chargea avec plaisir, & transporta l’enfant dans sa maison. Mais un jour qu’il étoit obligé de vaquer à quelque fonction qu’il avoit dans le Temple, il oublia si bien d’avoir laissé l’orpheline toute seule & enfermée chez lui, qu’il resta trois fois vingt-quatre heures dehors, sans penser à elle. S’en étant enfin ressouvenu, & craignant que la faim ne l’eût emportée, vû qu’aucun des autres parens n’en avoit pû avoir soin, la maison étant fermée à clef, il y courut au plus vîte. Mais qu’elle fut sa surprise quand, au lieu de trouver la pauvre enfant morte ou mourante, il la vit en bonne santé & entourée de toute sorte de bons mêts. Son étonnement ne cessa qu’après que l’enfant lui eût appris, que Dieu les lui avoit envoyez.

„ Etant parvenuë à l’âge de quatorze ans , & ayant été incommodée pour la prémiere fois comme toutes les femmes le sont ordinairement à cet âge-là, cette sainte fille fut se baigner dans une fontaine qui étoit dans une grande forêt. Là elle entendit une voix, qui lui fit d’abord beaucoup de peur. Elle se hâta de reprendre ses habits pour s’enfuir; mais avant qu’elle pût achever de les remettre, un Ange qui lui apparut lui annonça qu’elle deviendroit enceinte d’un fils, qu’il lui commanda d’appeller Isaï lorsqu’elle en seroit accouchée. Marie répliqua sagement qu’elle auroit de la peine à accoucher , n’ayant jusques-là jamais eu de commerce avec personne qui eût pû engrossir. Mais l’Ange, après lui avoir soufflé sur la gorge, lui fit comprendre ce Mistere, & l’instruisit de tout ce qu’elle avoit besoin de sçavoir. En effet elle devint grosse dès ce moment même, comme l’Ange l’avoit prédit.

„ Le terme de sa deliverance s’approchant, Marie alla se cacher de honte dans la même forêt où l’Ange lui étoit apparu, & les douleurs l’y ayant surprise, elle s’appuya, pour se soulager, contre un tronc d’arbre tout sec, & accoucha dans cet état du fruit qu’elle portoit. Ce qu’il y eut de particulier, c’est que dans le même instant le tronc commença à pousser dea feuilles , & toute la contrée d’alentour à verdoyer & à fleurir, & que des Anges survenus prirent l’Enfant qui venoit de naître, le baignerent dans une fontaine qui se trouva tout à coup à deux pas de-là, dans un endroit où il n’y en eut jamais auparavant, & le rendirent ensuite à sa Mere.

„ Celle-ci, après cette expédition, retourna vers ses parens, qui la reçurent avec beaucoup d’imprécations & de mauvais traitemens. Elle les essuya avec beaucoup de tranquillité, & sans se donner la peine de s’excuser du crime qu’on lui imputoir. Elle pria seulement son fils de plaider sa cause. Il le fit sur le champ, justifia entierement sa Mere, & expliqua aux parens tout le mistert d’une naissance si peu naturelle & si miraculeuse.

„ Dans la suite du tems le jeune Isaï devint un grand Prophête, & un Docteur de beaucoup d’autorité; mais il fut généralement haï & persécuté de tout le monde, & surtout des plus grands hommes de son tems, desquels il essuya quantité de traverses & de tribulations. Ils attenterent même plusieurs sois, quoique sans succès, à sa vie, & depêcherent enfin deux personnages considerables pour se défaire de lui à quelque prix que ce fût. Mais Dieu fit échouër un si pernicieux dessein, dans le moment même qu’ils comptoient de l’exécuter. Il enleva tout-à-coup Isaï de ce monde, & le transporta tout en vie au Ciel. Qui plus est, il punit les deux assassins d’une manière singuliere. Il transforma successivement leurs figures