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en celle d’Isaï, & les exposa par-là à la fureur du peuple, qui trompé par cette ressemblance, les fit pitoïablement mourir.

§. 21. Quoique les Bouchars ne fassent aucun compte de la Passion de J. C., ni du mistere de nôtre Redemption, ils n’en croyent pas moins la Résurrection, & une autre vie: mais ils ne sçauroient se persuader que jamais mortel puisse être damné éternellement. Ils croyent, au contraire, que comme les Démons nous induisent au péché, ce sera aussi à eux à s’en charger, & à en porter les peines.

§. 22. Ils croyent de plus, qu’au dernier jour du monde, tout ce qui existe, à la reserve de Dieu, sera anéanti ; que par conséquent toute créature vivante, les Anges, les Diables, & Jesus-Christ même, mourront, & qu’après la resurrection tous les hommes, excepté un petit nombre d’Elûs, seront purifiez, c’est-à-dire châtiez par le feu, chacun à proportion de ses péchez, de la grieveté desquels Dieu connoîtra moyennant une balance. Ils croyent qu’il y aura huit différens Paradis (qu’ils appellent Array) pour les bons, & sept différens Enfers pour les méchans ; que c’est dans ces Enfers que les pécheurs seront plus ou moins purifiez par le feu de la punition, à proportion des péchez qu’ils auront commis en ce monde ; que les pécheurs les plus énormes & qui sentiront le plus vivement le feu de la punition, ce sont les menteurs, les fourbes, qui se plaisent à tromper, & les boute-feux qui sement la desunion & des sujets de dispute parmi leurs prochains ; que ceux qui ne sentiront aucune atteinte du feu, c’est-k-dire les Elûs, seront choisis parmi les Bons, sçavoir de cent hommes, un, & de mille femmes une, & que ce petit troupeau sera transporté dans un des Paradis susdits, où il joüira de toutes sortes de félicitez, jusqu’à ce qu’il plaira à Dieu de créer un nouveau monde au lieu de celui d’à- présent.

§. 23. C’est un péché, selon eux, que de dire que Dieu est au Ciel. Dieu, disent-ils, se trouve partout ; donc c’est déroger à sa Toute-présence que de dire qu’il se tient dans un endroit fixe.

§. 24. Ils ont tous les ans un Jeûne de trente jours, à commencer du 15. Juillet jusqu’à la mi-Août, pendant lequel tems ils ne goûtent absolument de rien tant qu’il fait jour : mais en revanche ils mangent deux fois la nuit ; l’une, dès que le soleil est couché, & l’autre à minuit. Il leur est défendu de se servir d’autre boisson durant ce Jeûne que du Thé. Quiconque contrevient en la moindre façon à ces ordonnances, est condamné sur le champ à donner la liberté au meilleur de ses esclaves, ou un repas à 60. personnes, & de souffrir, outre cela, 85. coups, que le grand Prêtre, qu’ils appellent Aguns, lui fait appliquer sur le dos nud, se servant pour cela d’une épaisse courroye de cuir qu’ils nomment Dura. J’ai néanmoins remarqué que le petit peuple n’observe pas également la loi de ce Jeûne, & que surtout les travailleurs ont permission de manger en plein jour.

§. 25. Ils sont cinq prieres par jour, 1. avant l’Aurore, 2. vers le Midi, 3. après Midi, 4. au Soleil couchant, & 5. à la troisieme heure de la nuit ; & ce sont toujours leurs Abis, qui sont une espece de Prêtres, qui en donnent le signal.

§. 26. Ceux qui sont assez sçavans pour pouvoir lire & expliquer des livres, sont en grande consideration parmi ce peuple. On les appelle Mula, qui veut dire un homme célèbre & de mérite.

§. 27. Les femmes des Bouchars, lorsqu’elles accouchent, sont reputées impures durant 40. jours après leur delivrance, & n’oseroient pas seulement prier Dieu tant que dure cette prétenduë impureté.

§. 28. Au troisième jour après la naissance d’un enfant, le Pere ou quelqu’un des plus proches parens lui donne un nom, & lui fait en même tems présent d’un bonnet, ou d’un linge, & quelquefois d’un habit, si ses facultez le permettent.

La Circoncision des jeunes garçons se fait par quiconque s’y entend, lorsqu’ils sont parvenus à l’âge de 7. 8. ou 9. ans ; & pour solemniser cette cérémonie, le Pere donne ordinairement un festin à la fàmille & à ses amis.

§. 29. Les Bouchars qui veulent se marier, sont obligez d’acheter leurs femmes comme nous achetons nos chevaux. Ils en payent plus ou moins, à proportion qu’elles sont plus ou moins belles, de forte que le moyen le plus sûr de s’enrichir, c’est d’avoir quantité de filles à marier. Leurs mariages se sont avec les cérémonies suivantes.

Il est défendu aux personnes qui veulent s’épouser de se voir & de se parler depuis le jour des Fiançailles jusqu’à celui des Nôces. Elles se célèbrent pendant trois jours, qu’ils passent ordinairement comme les trois grandes Fêtes qu’ils ont tous les ans, à bien manger & à boire.

La veille des Nôces, quantité de jeunes filles vont s’assembler vers le soir chez la Fiancée, & s’y divertissent jusqu’à minuit à joüer, à danser, & à chanter. Le lendemain, prémier jour des Nôces, les conviez s’assemblent dès le matin chez la Future, & l’aident à tout préparer pour la cérémonie. Lorsque tout est prêt, on fait avertir le Fiancé, qui arrive bientôt après, accompagné de 10. à 20. de ses parens ou amis, de quelques joüeurs de flûte, & d’un Abis qui chante en frappant sur deux petites timbales.

Dès que l’Epoux est arrivé, il se tient une course de chevaux, après laquelle on distribuë les prix aux Cavaliers les plus adroits. Ces prix sont au nombre de 6. 8. ou 12., selon l’opulence des nouveaux mariez, & consistent ordinairement en Damas, Zibelines, Renards, Kitaik, toile de Cotton, ou autres effets pareils. La même fête se donne aussi à la Circoncision des enfans.

Les Epoux ne se voyent point durant la cérémonie du mariage, & ils répondent de loin aux questions que le Prêtre leur fait. Après la cérémonie le Mari retourne chez lui dans le même ordre qu’il étoit venu, & y régale ceux qui l’avoient accompagné.

Après le repas il revient avec le même cortege chez la Mariée, & obtient la permission de lui parler, après quoi il retourne de nouveau chez lui, & de-là, sur le soir, chez se nouvelle Epouse. Il la trouve alors couchée, & il se met tout habillé en présence de toutes ses femmes invitées, mais pour un moment seulement, à son côté.