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minces et glissants. Nous n’avons pu le retrouver celui qui est de notre race, que nous aimons et qui ne peut pas mourir.

LES TROUPES BISCORNUES

Oh ! les sottes saucisses qui se promènent, que dites-vous de la race de Merlin ? Il n’était pas tout à fait terrestre comme vous, avec qui il n’avait rien de commun. Son origine était céleste, puisque nous, les diables, nous venons du ciel.

LES SERPENTS

Sifflons, sifflons ! Nous n’avons pas à discuter avec vous, qui n’existez pas, les diables, mais en passant, nous vous disons volontiers que nous connaissons le paradis terrestre. Allons plus loin ; sifflons, sifflons !

LES CRAPAUDS

Que s’élève aussi notre appel mélancolique ! Car nous voulons retrouver Merlin nous aussi. Il nous aime et nous l’aimons. Nous assistions à d’étranges cérémonies où nous jouions notre rôle. Sautons, cherchons. Merlin aimait ce qui est beau et c’est un goût périlleux. Mais nous ne saurions le lui reprocher : nous aimons, comme lui, la beauté.

LES DEUX DRUIDES

Nous le cherchons aussi, car il connaissait notre science. Il savait que pour conjurer la soif, il n’est rien de mieux que de garder dans la bouche une feuille de gui. Il portait la robe blanche comme nous, mais, à la vérité, la nôtre est rouge du sang d’humaines victimes et brûlée, par endroits. Il avait une harpe harmonieuse, que nous avons trouvée, les cordes rompues, sous un buisson d’aubépine, là-bas. Serait-il mort ? Nous avions des pouvoirs autrefois, lorsque, nombreux, nous étions réunis en collèges. Mais en ce temps, nous sommes presque toujours seuls. Que pouvons-nous faire d’autre que de très loin converser ? Car les vents nous obéissent encore et portent les sons de nos harpes. Mais Lugu nous protège, le dieu terrible : voici son corbeau qui vole en croassant et cherche comme nous cherchons.

Or, le crépuscule était venu dans la forêt profonde et plus obscure. Un corbeau croassant, se posait, près de la dame immobile, sur la tombe de l’enchanteur.

LES DRUIDES

Il a disparu le corbeau du dieu Lugu. Cherchons l’enchanteur. Si nous avions le temps, nous célébrerions, en strophes difficiles, son destin, aux échos de la forêt résonnante. Mais, puisque nous ne le trouvons pas celui qui est vêtu d’une tunique semblable à la nôtre, profitons de ce que nous sommes réunis pour nous parler à cœur ouvert.

LE CORBEAU

L’une est vive, l’autre est mort. Mon bec ne peut percer la pierre, mais tout de même

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