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LES LÉZARDS
à peine éveillés

Malheur des nuits. Froidure des nuits de printemps, mais le soleil se promet d’être ardent demain.

LA VIEILLE GUIVRE
avec son guivret

Sécheresse des lèvres fanées. C’est fini, c’est fini, enchanteur, mes lèvres sont fanées.

LES GUIVRES

Nous voudrions le baiser sur nos lèvres que nous léchons pour les faire paraître plus rouges. Enchanteur, enchanteur, nous t’aimons. Ah ! si l’espoir s’accomplissait ! Avant la ménopause, s’entend, car il nous serait inutile d’avoir la bouche en cœur, après, à nous qui ne sommes que des bêtes, sauf le baptême et qui, malgré le bel espoir, nous mordons les lèvres, nos belles lèvres, souvent, en nos gîtes accessibles ; car nous sommes, hélas ! vouées à l’insomnie.

LE HIBOU
immobile

Celles-ci sont contemporaines, tandis que celle qui vient est antique. Elle est lamentable et ne pense pas du tout à l’enchanteur. Sa douleur est intime. Sa taille est gigantesque. Elle porte des brûlures par endroit à cause du feu céleste. Elle ulule, et je suis fière qu’une si belle personne m’imite. Oh ! Oh ! Elle a été mère plusieurs fois à ce que je vois.

COUVÉE DE SERPENTS
à la lisière de la forêt

Qui donc ulule si lamentablement. Ce n’est pas un oiseau nocturne. La voix est plus qu’humaine. Mais quoi ! nous nous sommes dressés et nous avons regardé en l’air en sifflant. Si cette troupe biscornue pouvait interroger la femme qui ulule, celle-ci attesterait certainement notre origine paradisiaque. Nous l’avons vue celle qui ulule, elle était dans le paradis terrestre en même temps que nous-mêmes. Sifflons, cherchons celui que nous aimons, qui est de notre race et qui ne peut pas mourir.

LILITH
ululant au-dessus de la forêt, très haut

Mes enfants sont pour moi, première mère, mes enfants sont pour moi. Hélas ! Ô fuite ! Ô méchanceté des hiérarchies ! Ô fuite ! hélas ! J’ai oublié le nom des anges qui m’ont poursuivie. Hélas ! Comme la mer rouge est lointaine !

UN ABBÉ,
cessant d’écrire dans sa cellule

Lilith clame, comme un animal dans la plaine. Mon âme s’effraye, car Satan a le