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dance proclamée : il fallait donc conquérir tôt ou tard le territoire en possession des troupes françaises, au même droit qui avait déterminé la conquête accomplie[1].

D’autres raisons existaient en faveur de cette entreprise. Abstraction faite de la démarche et de la soumission anticipée et volontaire des habitans du Cibao, l’origine africaine de la grande majorité de la population de ce département et de celui de l’Ozama dictait la mesure. Les anciens esclaves espagnols n’avaient point effectivement changé de condition durant la domination de Toussaint Louverture ; c’était encore pis depuis l’occupation française ; et sous le régime colonial restauré, ils allaient rester esclaves. L’indépendance devait donc leur profiter, comme aux autres habitans qui, quoique libres de fait, descendaient de la même race : cette adjonction de forces ne pouvait qu’assurer le nouvel état de choses.

C’est avec cette restriction nécessaire, qu’il faut entendre le passage de la proclamation du général en chef, lorsqu’il dit aux Indigènes d’Haïti de se garder de tout esprit de prosélytisme par rapport à leurs voisins. Cette disposition si sage et si politique ne concernait que les autres îles de l’archipel des Antilles : par là, le chef d’Haïti rassurait toutes les puissances qui y possédaient des colonies. Il posa ainsi un principe salutaire qui a été toujours observé par tous les gouvernemens qui ont succédé au sien, — non, parce que le peuple haïtien fût indifférent au sort des populations de même origine qui gémissaient dans l’esclavage ; mais parce que, dans l’intérêt propre

  1. Qu’on se rappelle la lettre du ministre Monge à Polvérel et Sonthonax, du 26 février 1793, leur ordonnant de faire tous leurs efforts pour conquérir la colonie espagnole, alors que la France était en guerre avec l’Espagne. Haïti étant à son tour en guerre avec la France, pouvait donc désirer de conquérir ce territoire afin de consolider son indépendance.