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LA CITÉ DE DIEU

humaine ! Mais puisque dans les trois livres qui terminent son ouvrage, il classe les dieux d’une façon si exacte en certains, incertains et choisis, ne semble-t-il pas avoir voulu ne rien omettre dans la nature divine ? Que vient-il donc nous dire, que s’il eût embrassé la nature divine tout entière, il eût parlé des dieux avant de parler des hommes ? car enfin, de trois choses l’une : ou il traite de toute la nature divine, ou bien il traite d’une partie, ou enfin ce dont il traite n’est rien de la nature divine. S’il traite de la nature divine tout entière, elle doit sans nul doute avoir sur la nature humaine la priorité ; s’il traite d’une partie de la nature divine, pourquoi la priorité ne lui serait-elle pas acquise également ? Est-ce que toute partie quelconque de la nature divine ne doit pas être mise au-dessus de la nature humaine ? En tout cas, si c’est trop faire pour une partie de la nature divine que de la préférer à la nature humaine tout entière, du moins fallait-il la préférer à ce qui n’est qu’une partie des choses humaines, je veux dire aux institutions des Romains ; car les livres de Varron regardent Rome et non pas toute l’humanité. Et cependant il croit bien faire d’ajourner les choses divines, sous prétexte que le peintre précède son tableau et l’architecte son édifice ; n’est-ce pas avouer nettement que ce qu’il appelle choses divines n’est à ses yeux, comme la peinture et l’architecture, que l’ouvrage des hommes ? Il ne reste donc plus que la troisième hypothèse, savoir, que l’objet de son traité n’est rien de divin, et voilà ce dont il ne serait pas convenu ouvertement, mais ce qu’il a peut-être voulu faire entendre aux esprits éclairés. En effet, il se sert d’une expression équivoque, qui veut dire, dans le sens ordinaire, que l’objet de son traité n’est pas toute la nature divine, mais qui peut signifier aussi que ce n’est rien de vraiment divin. Dans le fait, s’il avait traité de toute la nature divine, le véritable ordre était, il en convient lui-même, de la placer avant la nature humaine ; et comme il est clair d’ailleurs, sinon par le témoignage de Varron, du moins par l’évidence de la vérité, que dans le cas même où il n’aurait voulu traiter que d’une partie de la nature divine, elle devait encore avoir la priorité, il s’ensuit finalement que l’objet dont il traite n’a rien de véritablement divin. Dès lors, il ne faut pas dire que Varron a voulu préférer les choses humaines aux choses divines ; il faut dire qu’il n’a pas voulu préférer des choses fausses à des choses vraies. Car dans ce qu’il écrit touchant les choses humaines, il suit l’ordre des événements, au lieu qu’en traitant des choses divines, qu’a-t-il suivi, sinon des opinions vaines et fantastiques ? Et c’est ce qu’il a voulu finement insinuer, non-seulement par l’ordre qu’il a suivi, mais encore par la raison qu’il en donne. Peut-être, s’il eût suivi cet ordre sans en dire la raison, nierait-on qu’il ait eu aucune intention semblable ; mais, parlant comme il fait, on ne peut lui supposer aucune autre pensée, et il a fait assez voir qu’il a voulu placer les hommes avant les institutions des hommes, et non pas la nature humaine avant la nature des dieux. Ainsi il a reconnu que l’objet de son traité des choses divines n’est pas la vérité qui a son fondement dans la nature, mais la fausseté qui a le sien dans l’erreur. C’est ce qu’il a déclaré ailleurs d’une façon plus formelle encore, comme je l’ai rappelé dans mon quatrième livre[1], quand il dit que s’il avait à fonder un État nouveau, il traiterait des dieux selon les principes de la nature ; mais que, vivant dans un État déjà vieux, il ne pouvait que suivre la coutume.

CHAPITRE V.
DES TROIS ESPÈCES DE THÉOLOGIES DISTINGUÉES PAR VARRON, L’UNE MYTHIQUE, L’AUTRE NATURELLE, ET L’AUTRE CIVILE.

Que signifie cette division de la théologie ou science des dieux en trois espèces : l’une mythique, l’autre physique, et l’autre civile ? Le nom de théologie fabuleuse conviendrait assez à la première espèce, mais je veux bien l’appeler mythique, du grec μῦθος, qui signifie fable. Appelons aussi la seconde espèce indifféremment physique ou naturelle, puisque l’usage l’autorise[2] ; et, quant à la troisième espèce, à la théologie politique, nommée par Varron civile, il n’y a pas de difficulté. Voici comment il s’explique à cet égard : « On appelle mythique la théologie des poètes, physique, celle des philosophes, et civile, celle des peuples ». — « Or», poursuit-il, « dans la première espèce de théologie, il se rencontre beaucoup de fictions contraires à la dignité

  1. Au chap. 31.
  2. On sait que le latin physicus vient du grec φυσικός, naturel, dont la racine est φύσις, nature.