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LIVRE VIII. — THÉOLOGIE NATURELLE.

sagesse qui nous sont promises à la fin des temps au sortir de ce corps périssable. Quant aux dieux, nos philosophes prétendent que s’ils sont à l’abri des passions, c’est qu’ils possèdent non-seulement l’éternité, mais la béatitude ; et quoiqu’ils aient une âme comme le reste des animaux, cette âme est pure de toute tache et de toute altération. Eh bien ! s’il en va de la sorte, si les dieux ne sont point sujets aux passions en tant qu’animaux doués de béatitude et exempts de misère, si les bêtes en sont affranchies en qualité d’animaux incapables de misère comme de béatitude, il reste que les démons y soient accessibles au même titre que les hommes, à titre d’animaux misérables.

Quelle déraison, ou plutôt quelle folie de nous asservir aux démons par un culte, quand la véritable religion nous délivre des passions vicieuses qui nous rendent semblables à eux ! Car Apulée, qui les épargne beaucoup et les juge dignes des honneurs divins, Apulée lui-même est forcé de reconnaître qu’ils sont sujets à la colère ; et la vraie religion nous ordonne de ne point céder à la colère, mais d’y résister. Les démons se laissent séduire par des présents, et la vraie religion ne veut pas que l’intérêt décide de nos préférences. Les démons se complaisent aux honneurs, et la vraie religion nous défend d’y être sensibles. Les démons aiment ceux-ci, haïssent ceux-là, non par le choix sage et calme de la raison, mais par l’entraînement d’une âme passionnée ; et la vraie religion nous prescrit d’aimer même nos ennemis. Enfin tous ces mouvements du cœur, tous ces orages de l’esprit, tous ces troubles et toutes ces tempêtes de l’âme, dont Apulée convient que les démons sont agités, la vraie religion nous ordonne de nous en affranchir. N’est-ce donc pas une folie et un aveuglement déplorables que de s’humilier par l’adoration devant des êtres à qui on désire ne pas être semblable, et de prendre pour objet de sa religion des dieux qu’on ne veut pas imiter, quand toute la substance de la religion, c’est d’imiter ce qu’on adore ?

CHAPITRE XVIII.
CE QU’ON DOIT PENSER D’UNE RELIGION QUI RECONNAÎT LES DÉMONS POUR MÉDIATEURS NÉCESSAIRES DES HOMMES AUPRÈS DES DIEUX.

C’est donc en vain qu’Apulée et ses adhérents font aux démons l’honneur de les placer dans l’air, entre le ciel et la terre, pour transmettre aux dieux les prières des hommes et aux hommes les faveurs des dieux, sous prétexte qu’ « aucun dieu ne communique avec l’homme[1] », suivant le principe qu’ils attribuent à Platon. Chose singulière ! ils ont pensé qu’il n’était pas convenable aux dieux de se mêler aux hommes, mais qu’il était convenable aux démons d’être le lien entre les prières des hommes et les bienfaits des dieux ; de sorte que l’homme juste, étranger par cela même aux arts de la magie, sera obligé de prendre pour intercesseurs auprès des dieux ceux qui se plaisent à ces criminelles pratiques, alors que l’aversion qu’elles lui inspirent est justement ce qui le rend plus digne d’être exaucé par les dieux. Aussi bien ces mêmes démons aiment les turpitudes du théâtre, tandis que la pudeur les déteste ; ils se plaisent à tous les maléfices de la magie[2], tandis que l’innocence les a en mépris. Voilà donc l’innocence et la pudeur condamnées, pour obtenir quelque faveur des dieux, à prendre pour intercesseurs leurs propres ennemis. C’est en vain qu’Apulée chercherait à justifier les fictions des poëtes et les infamies du théâtre ; nous avons à lui opposer l’autorité respectée de son maître Platon, si toutefois l’homme peut à ce point renoncer à la pudeur que non-seulement il aime des choses honteuses, mais qu’il les juge agréables à la Divinité.

CHAPITRE XIX.
LA MAGIE EST IMPIE QUAND ELLE A POUR BASE LA PROTECTION DES ESPRITS MALINS.

Pour confondre ces pratiques de la magie, dont quelques hommes sont assez malheureux et assez impies pour tirer vanité, je ne veux d’autre témoin que l’opinion publique. Si en effet les opérations magiques sont l’ouvrage de divinités dignes d’adoration, pourquoi sont-elles si rudement frappées par la sévérité des lois ? Sont-ce les chrétiens qui ont fait ces lois ? Admettez que les maléfices des magiciens ne soient pas pernicieux au genre humain, pourquoi ces vers d’un illustre poëte ?

« J’en atteste les dieux et toi-même, chère sœur, et ta

  1. Voyez Apulée, De deo Socratis, Platon, Banquet, discours de Diotime, page 203, A, trad. fr., tome VI, p. 299.
  2. Voyez Virgile, Énéide, livre VII, v. 338.