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LA CITÉ DE DIEU

tête chérie : c’est à regret que j’ai recours aux conjurations magiques[1] ».

Et pourquoi cet autre vers ?

« Je l’ai vu transporter des moissons d’un champ dans un autre[2] ».

allusion à cette science pernicieuse et criminelle qui fournissait, disait-on, le moyen de transporter à son gré les fruits de la terre ? Et puis Cicéron ne remarqua-t-il pas qu’une loi des Douze Tables, c’est-à-dire une des plus anciennes lois de Rome, punit sévèrement les magiciens[3] ? Enfin, est-ce devant les magistrats chrétiens qu’Apulée fut accusé de magie[4] ? Certes, s’il eût pensé que ces pratiques fussent innocentes, pieuses et en harmonie avec les œuvres de la puissance divine, il devait non-seulement les avouer, mais faire profession de s’en servir et protester contre les lois qui interdisent et condamnent un art digne d’admiration et de respect. De cette façon, ou il aurait persuadé ses juges, ou si, trop attachés à d’injustes lois, ils l’avaient condamné à mort, les démons n’auraient pas manqué de récompenser son courage. C’est ainsi que lorsqu’on imputait à crime à nos martyrs cette religion chrétienne où ils croyaient fermement trouver leur salut et une éternité de gloire, ils ne la reniaient pas pour éviter des peines temporelles, mais au contraire ils la confessaient, ils la professaient, ils la proclamaient ; et c’est en souffrant pour elle avec courage et fidélité, c’est en mourant avec une tranquillité pieuse, qu’ils firent rougir la loi de son injustice et en amenèrent la révocation. Telle n’a point été la conduite du philosophe platonicien. Nous avons encore le discours très-étendu et très-disert où il se défend contre l’action de magie ; et s’il s’efforce d’y paraître innocent, c’est en niant les actions qu’on ne peut faire innocemment. Or, tous ces prodiges de la magie, qu’il juge avec raison condamnables, ne s’accomplissent-ils point par la science et par les œuvres des démons ? Pourquoi donc veut-il qu’on les honore ? pourquoi dit-il que nos prières ne peuvent parvenir aux dieux que par l’entremise de ces mêmes démons dont nous devons fuir les œuvres, si nous voulons que nos prières parviennent jusqu’au vrai Dieu ? D’ailleurs, je demande quelle sorte de prières les démons présentent aux dieux bons : des prières magiques ou des prières permises ? les premières, ils n’en veulent pas ; les secondes, ils les veulent par d’autres médiateurs. De plus, si un pécheur pénitent vient à prier, se reconnaissant coupable d’avoir donné dans la magie, obtiendra-t-il son pardon par l’intercession de ceux qui l’ont poussé au crime ? ou bien les démons eux-mêmes, pour obtenir le pardon des pécheurs, feront-ils tous les premiers pénitence pour les avoir séduits ? C’est ce qui n’est jamais venu à l’esprit de personne ; car s’ils se repentaient de leurs crimes et en faisaient pénitence, ils n’auraient pas la hardiesse de revendiquer pour eux les honneurs divins ; une superbe si détestable ne peut s’accorder avec une humilité si digne de pardon.
CHAPITRE XX.
S’IL EST CROYABLE QUE DES DIEUX BONS PRÉFÈRENT AVOIR COMMERCE AVEC LES DÉMONS QU’AVEC LES HOMMES.

Il y a, suivant eux, une raison pressante et impérieuse qui fait que les démons sont les médiateurs nécessaires entre les dieux et les hommes. Voyons cette raison, cette prétendue nécessité. C’est, disent-ils, qu’aucun dieu ne communique avec l’homme. Voilà une étrange idée de la sainteté divine ! elle empêche Dieu de communiquer avec l’homme suppliant, et le fait entrer en commerce avec le démon superbe ! Ainsi, Dieu ne communique pas avec l’homme pénitent, et il communique avec le démon séducteur ; il ne communique pas avec l’homme qui invoque la Divinité, et il communique avec le démon qui l’usurpe ; il ne communique pas avec l’homme implorant l’indulgence, et il communique avec le démon conseillant l’iniquité ; il ne communique pas avec l’homme qui, éclairé par les livres des philosophes, chasse les poëtes d’un État bien réglé, et il communique avec le démon, qui exige du sénat et des pontifes qu’on représente sur la scène les folles imaginations des poëtes ; il ne communique pas avec l’homme qui interdit d’imputer aux dieux des crimes fantastiques, et il communique avec le démon qui se complaît à voir ces crimes donnés en spectacle ; il ne communique pas avec l’homme qui

  1. Énéide, livre IV, v. 492, 493.
  2. Églogue 8e, v. 99.
  3. Un fragment de la loi des Douze Tables porte : Qui fruges excantasit. Qui malum Carmen incantasit… Non alienam segetem pelexeris. Voyez Pline, Hist. nat., lib. xxviii, cap. 2. — Sénèque, Quæst. natur., lib. iv. — Apulée, Apologie, page 304.
  4. Apulée fut cité pour crime de magie devant le gouverneur de l’Aquitaine, Claudius, qui n’était rien moins que chrétien. Voyez Lettres de Marcellinus et de saint Augustin, 136, 138.