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LA CITÉ DE DIEU.

gence de Dieu, puisque la faible et misérable vertu qu’on appelle la vertu humaine n’est elle-même qu’un don de sa bonté. Nous serions trop disposés à nous enorgueillir dans notre condition charnelle, si, avant de la dépouiller, nous ne vivions pas sous le pardon. C’est pourquoi la vertu du Médiateur nous a fait cette grâce que, souillés par la chair du péché, nous trouvons notre purification dans un Dieu fait chair ; grâce merveilleuse, où éclate la miséricorde de Dieu, et qui, après nous avoir conduits durant cette vie dans le chemin de la foi, nous prépare, après la mort, par la contemplation de la vérité immuable, la plénitude de la perfection.

CHAPITRE XXIII.
DES PRINCIPES DE LA PURIFICATION DE L’AME SELON LES PLATONICIENS.

Des oracles divins, dit Porphyre, ont répondu que les sacrifices les plus parfaits à la lune et au soleil sont incapables de purifier, et il a voulu montrer par là qu’il en est de même des sacrifices offerts à tous les autres dieux. Quels sacrifices, en effet, auraient une vertu purifiante, si ceux de la lune et du soleil, divinités du premier ordre, ne l’ont pas ? Porphyre, d’ailleurs, ajoute que le même oracle a déclaré que les Principes peuvent purifier ; par où l’on voit assez que ce philosophe a craint que sur la première réponse, qui refuse aux sacrifices parfaits du soleil et de la lune la vertu purifiante, on ne s’avisât de l’attribuer aux sacrifices de quelqu’un des petits dieux. Mais qu’entend Porphyre par ses Principes ? dans la bouche d’un philosophe platonicien, nous savons ce que cela signifie[1] : il veut désigner Dieu le Père d’abord, puis Dieu le Fils, qu’il appelle la Pensée ou l’Intelligence du Père ; quant au Saint-Esprit, il n’en dit rien, ou ce qu’il en dit n’est pas clair ; car je n’entends pas quel est cet autre Principe qui tient le milieu, suivant lui, entre les deux autres. Est-il du sentiment de Plotin, qui, traitant des trois hypostases principales, donne à l’âme le troisième rang ? mais alors il ne dirait pas que la troisième hypostase tient le milieu entre les deux autres, c’est-à-dire entre le Père et le Fils. En effet, Plotin place l’âme au-dessous de la seconde hypostase, qui est la pensée du Père, tandis que Porphyre, en faisant de l’âme une substance mitoyenne, ne la place pas au-dessous des deux autres, mais entre les deux. Porphyre, sans doute, a parlé comme il a pu, ou comme il a voulu ; car nous disons, nous, que le Saint-Esprit n’est pas seulement l’esprit du Père, ou l’esprit du Fils, mais l’esprit du Père et du Fils. Aussi bien, les philosophes sont libres dans leurs expressions, et, en parlant des plus hautes matières, ils ne craignent pas d’offenser les oreilles pieuses. Mais nous, nous sommes obligés de soumettre nos paroles à une règle précise, de crainte que la licence dans les mots n’engendre l’impiété dans les choses.

CHAPITRE XXIV.
DU PRINCIPE UNIQUE ET VÉRITABLE QUI SEUL PURIFIE ET RENOUVELLE LA NATURE HUMAINE.

Lors donc que nous parlons de Dieu, nous n’affirmons point deux ou trois principes, pas plus que nous n’avons le droit d’affirmer deux ou trois dieux ; et toutefois, en affirmant tour à tour le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous disons de chacun qu’il est Dieu. Car nous ne tombons pas dans l’hérésie des Sabelliens[2], qui soutiennent que le Père est identique au Fils, et que le Saint-Esprit est identique au Fils et au Père ; nous disons, nous, que le Père est le Père du Fils, que le Fils est le Fils du Père, et que le Saint-Esprit est l’Esprit du Père et du Fils, sans être ni le Père, ni le Fils. Il est donc vrai de dire que le Principe seul purifie l’homme, et non les Principes, comme l’ont soutenu les Platoniciens. Mais Porphyre, soumis à ces puissances envieuses dont il rougissait sans oser les combattre ouvertement, n’a pas voulu reconnaître que le Seigneur Jésus-Christ est le principe qui nous purifie par son incarnation. Il l’a sans doute méprisé dans la chair qu’il a revêtue pour accomplir le sacrifice destiné à nous purifier ; grand mystère que n’a point compris Porphyre, par un effet de cet orgueil que le bon, le vrai Mé-

  1. Les Platoniciens de l’école d’Alexandrie et de l’école d’Athènes se sont accordés, depuis Plotin jusqu’à Proclus, à reconnaître en Dieu trois principes ou hypostases : 1° l’Un (τὸ ἓν ἀπλοῦν) ou le Bien, qui est le Père ; 2° l’Intelligence, le Verbe (λόγος, νοῦς), qui est le Fils ; 3° l’Âme (ψυχή), qui est le principe universel de la vie. — Quant à la nature et à l’ordre de ces hypostases, les Alexandrins cessent d’être d’accord. — Consultez, sur les différences très-subtiles de la Trinité de Plotin et de celle de Porphyre, les deux historiens de l’école d’Alexandrie, M. Jules Simon (tome II, page 110 et seq.) et M. Vacherot (tome II, p. 37 et seq.)
  2. Sabellius, et avant lui Noët et Praxée, réduisaient la distinction des personnes de la sainte Trinité à une distinction nominale. Cette hérésie a été condamnée par le concile de Constantinople en 381.