Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/112

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De semaine en semaine, à cause de ses dents, M. Poncin était très gros d’une joue, tantôt la droite, tantôt la gauche, jamais les deux joues à la fois. À respirer son haleine, « camphre, créosote, iodoforme » prenaient un sens précis. La main dans la main de son patron, il l’aidait à faire payer les gens. Il disait aussi : les contribuables. Mais là commençait une différence. Ceux qui plaisaient à M. le Percepteur, parce qu’ils payaient vite, ne plaisaient pas à M. Poncin. Pour peu, il eût trouvé que c’était mal. Il préférait ceux qui ne payaient pas, à qui l’on envoie des premiers avis, des derniers avis, des sommations avec frais, toutes sortes de papiers profitables à qui les envoie et c’était lui qui les envoyait : alors c’était bien.

Ainsi le bien de M. Poncin différait du bien de son patron. Entre les deux, je restais neutre. Cependant ce désaccord me tracassait. Voilà de mes niaiseries, c’est entendu. Mon ami Charles le disait aussi :

— Le Bien, le Mal, tu prononces cela comme s’il y avait des majuscules ; il n’y en a pas.

Quand même si entre deux hommes, sur un vague coin de la terre, le bien de l’un n’est pas le bien de l’autre, qu’en est-il entre tous les hommes, sur toute la terre ?