Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/39

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matum d’Adolphe de Nassau, Philippe le Bel se contenta de répondre, d’un mot qui mériterait d’être plus célèbre « Trop allemand. » Les Chroniques de Saint-Denis rapportent cette anecdote, presque inconnue et que tous les enfants de France devraient apprendre à l’école, en ces termes d’une spirituelle ironie : « Quant le roy de France ot receues ces lettres, si manda son conseil par grant deliberacion et leur requist la response des dites lettres. Tantost les chevaliers se departirent de court et vindrent à leur seigneur (Adolphe de N.), lui baillèrent la lettre de response ; il brisa le scel de la lettre qui moult estoit grant. Et quand elle fut ouverte, il n’y trouva riens escript, fors : troup alement. Et ceste response fu donnée par le conte Robert d’Artois avec le grant conseil du roy »[1]

D’où venait tant d’assurance et tant d’audace ? Comment le Capétien pouvait-il se permettre de répondre d’un ton si cavalier à l’Empereur germanique ? C’est que le roi de France avait étendu et perfectionné ses alliances avec les seigneurs et les villes du Rhin, alliances qui annonçaient la ligue célèbre par laquelle Mazarin devait mettre plus tard les populations rhénanes au service et dans la sphère d’influence de la France. Philippe le Bel n’eut besoin de mobiliser une armée ni contre Adolphe de Nassau ni contre Albert d’Autriche. Ses diplomates suffirent à la tâche. Et quand Albert mourut, le roi de France poursuivit sa politique en posant la candidature de son propre frère Charles de Valois à l’élection impériale. Ce fut Henri de Luxembourg pourtant qui fut élu. Mais, par l’éducation, par le langage, par les mœurs, Henri était un prince de notre pays, et de son règne date la première époque du rayonnement de la France, des mœurs, des idées et de la littérature françaises en Allemagne.

La méthode de l’intervention politique et diplomatique s’était montrée efficace. La royauté française n’en voulut pas d’autre dans ses rapports avec l’Allemagne, d’ailleurs tombée en pleine

  1. Il ne s’agit pas d’une légende. Alfred Leroux (Recherches critiques sur les relations politiques de la France avec l’Allemagne de 1292 à 1378) a établi que cette mémorable réponse de Philippe le Bel fut bien envoyée et remise à l’Empereur comme les Chroniques de Saint-Denis le disent. Les Chroniques de Flandre nous apprennent même que plusieurs seigneurs français jugèrent que cette réponse était inconvenante et de mauvais goût : l’esprit de critique sévissait déjà chez les gens du monde.