Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
238 II. Livre. Scènes de la vie de province.  

provinciale put-elle lui dire sans se croire entendue des autres personnes qui parlaient de la vente des vins, dont s’occupait en ce moment tout le Saumurois : — Monsieur, si vous voulez nous faire l’honneur de venir nous voir, vous ferez très certainement autant de plaisir à mon mari qu’à moi. Notre salon est le seul dans Saumur où vous trouverez réunis le haut commerce et la noblesse : nous appartenons aux deux sociétés, qui ne veulent se rencontrer que là, parce qu’on s’y amuse. Mon mari, je le dis avec orgueil, est également considéré par les uns et par les autres. Ainsi, nous tâcherons de faire diversion à l’ennui de votre séjour ici. Si vous restiez chez monsieur Grandet, que deviendriez-vous, bon Dieu ! Votre oncle est un grigou qui ne pense qu’à ses provins, votre tante est une dévote qui ne sait pas coudre deux idées, et votre cousine est une petite sotte, sans éducation, commune, sans dot, et qui passe sa vie à raccommoder des torchons.

— Elle est très bien, cette femme, se dit en lui-même Charles Grandet en répondant aux minauderies de madame des Grassins.

— Il me semble, ma femme, que tu veux accaparer monsieur, dit en riant le gros et grand banquier.

À cette observation, le notaire et le président dirent des mots plus ou moins malicieux ; mais l’abbé les regarda d’un air fin et résuma leurs pensées en prenant une pincée de tabac, et offrant sa tabatière à la ronde :

— Qui mieux que madame, dit-il, pourrait faire à monsieur les honneurs de Saumur ?

— Ha ! çà, comment l’entendez-vous, monsieur l’abbé ? demanda monsieur des Grassins.

— Je l’entends, monsieur, dans le sens le plus favorable pour vous, pour madame, pour la ville de Saumur et pour monsieur, ajouta le rusé vieillard en se tournant vers Charles.

Sans paraître y prêter la moindre attention, l’abbé Cruchot avait su deviner la conversation de Charles et de madame des Grassins.

— Monsieur, dit enfin Adolphe à Charles d’un air qu’il aurait voulu rendre dégagé, je ne sais si vous avez conservé quelque souvenir de moi ; j’ai eu le plaisir d’être votre vis-à-vis à un bal donné par monsieur le baron de Nucingen, et, …

— Parfaitement, monsieur, parfaitement, répondit Charles surpris de se voir l’objet des attentions de tout le monde.

— Monsieur est votre fils ? demanda-t-il à madame des Grassins.