Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
URSULE MIROUET.

au teint criblé de taches de rousseur, un peu trop serrée dans ses robes, liée avec madame Dionis, et qui passait pour instruite, parce qu’elle lisait des romans. Cette financière du dernier ordre, pleine de prétentions à l’élégance et au bel-esprit, attendait l’héritage de son oncle pour prendre un certain genre, orner son salon et y recevoir la bourgeoisie ; car son mari lui refusait les lampes Carcel, les lithographies et les futilités qu’elle voyait chez la notaresse. Elle craignait excessivement Goupil, qui guettait et colportait ses capsulinguettes (elle traduisait ainsi le mot lapsus linguæ). Un jour madame Dionis lui dit qu’elle ne savait plus quelle eau prendre pour ses dents. — Prenez de l’opiat, lui répondit-elle.

Presque tous les collatéraux du vieux docteur Minoret se trouvèrent alors réunis sur la place, et l’importance de l’événement qui les ameutait fut si généralement sentie, que les groupes de paysans et de paysannes armés de leurs parapluies rouges, tous vêtus de ces couleurs éclatantes qui les rendent si pittoresques les jours de fête à travers les chemins, eurent les yeux sur les héritiers Minoret. Dans les petites villes qui tiennent le milieu entre les gros bourgs et les villes, ceux qui ne vont pas à la messe restent sur la place. On y cause d’affaires. À Nemours, l’heure des offices est celle d’une bourse hebdomadaire à laquelle venaient souvent les maîtres des habitations éparses dans un rayon d’une demi-lieue. Ainsi s’explique l’entente des paysans contre les bourgeois relativement aux prix des denrées et de la main-d’œuvre.

— Et qu’aurais-tu donc fait ? dit le maître de Nemours à Goupil.

— Je me serais rendu aussi nécessaire à sa vie que l’air qu’il respire. Mais, d’abord, vous n’avez pas su le prendre ! Une succession veut être soignée autant qu’une belle femme, et, faute de soins, elles échappent toutes deux. Si ma patronne était là, reprit-il, elle vous dirait combien cette comparaison est juste.

— Mais monsieur Bongrand vient de me dire de ne point nous inquiéter, répondit le greffier de la Justice de Paix.

— Oh ! il y a bien des manières de dire ça, répondit Goupil en riant. J’aurais bien voulu entendre votre finaud de juge de paix ! S’il n’y avait plus rien à faire ; si, comme lui qui vit chez votre oncle, je savais tout perdu, je vous dirais : — Ne vous inquiétez de rien !

En prononçant cette dernière phrase, Goupil eut un sourire si comique et lui donna une signification si claire, que les héritiers soupçonnèrent le greffier de s’être laissé prendre aux finesses du