Page:Barbey d’Aurevilly - Les Historiens, 1888.djvu/379

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eût fait, s’il eût vécu, peut-être réfléchir l’auteur de La République américaine. Au lieu de continuer Tocqueville, moi, je l’aurais retourné. Au lieu de refaire ce qui est fait et même défait, ce livre sans conclusion de La Démocratie en Amérique, j’aurais fait, ou du moins j’aurais voulu faire, — un livre hardiment intitulé : De l’Aristocratie en Amérique. Oui ! de l’aristocratie dans le sens impur, grotesque et déshonoré de ce mot. Ce n’est pas, celle-là, une aristocratie de source et de vocation divine, mais le contresens de l’aristocratie méritante et dévouée : une négation de l’ordre social. Je l’aurais montrée aventurière par essence, homicide et suicide, toujours le revolver en main, méprisante dans le choix des voies et moyens, des vérités et de la vie !

L’Américain du Nord vit seul, dans une auberge, vis-à-vis de lui-même, et, vis-à-vis de lui, tout le reste n’est rien. Il est tout à la fois le magistrat, le pouvoir exécutif et le prêtre de sa personnalité. Aussi a-t-il un triple effroi pour les trois choses qui font la gloire et la force de notre Europe : la magistrature, l’armée et le sacerdoce. Il a diminué l’une par les jurys, n’a pas l’autre, et a remplacé la troisième par des prédicants libres, mariés et gaspilleurs.

Telle est cette aristocratie américaine, fille de trente-six pères, et qui se développe avec le mouvement de tout le reste dans ce pays original, mais effrayant, dans ce pays qui n’est pas un pays comme