Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/22

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nul doute. Quoi ! saint Thomas d’Aquin ! un saint et un scolastique ! Oh ! certes, il ne fallait rien moins que la prépondérance de l’Académie des sciences morales et politiques sur l’opinion pour faire de saint Thomas d’Aquin une actualité. Son livre immense, — qui s’appelle la Somme, et qui assomme, — sifflotait un voltairien au siècle dernier, — serait majestueusement resté dans cette gloire rongée d’oubli, où le nom de l’homme se voit encore, mais où ses idées ne se voient plus.

Des idées de ce grand homme d’idées, qui s’en occupe en effet depuis deux siècles ? Qui en a pris souci depuis que Descartes et Bacon ont saisi le monde moderne et l’ont confisqué ? Qui en parle ? Qui voudrait en parler ? Pour en parler, il faudrait être prêtre et entre prêtres ! Mais entre laïques, instruits, positifs, de leur temps, allons donc ! C’est matière de bréviaire, aurait dit Rabelais. On n’en dit mot ou l’on s’en moque. Tout au plus peut-être, parmi les moqueurs, quelqu’un de poli et d’indulgent pour les stupidités du Moyen Age se risquerait-il à rappeler le mot du bon Leibnitz (qui voyait tout en beau, d’ailleurs) sur cette scolastique dont le fumier a des parcelles d’or. Ce serait là tout. On n’est pas Hercule. On ne tracasserait pas ce fumier davantage et l’or s’y morfondrait, en attendant les coqs qui trouvent des perles… dans les fables, si l’Académie n’y avait bravement lâché les siens.

Grâces soient donc rendues à l’Académie ! Le silence, gardé deux siècles durant, sur l’un des plus fiers livres qu’ait produits non le génie d’un homme, mais le génie des hommes, était en vérité par trop honteux, et c’est être délivré de la honte que d’être autorisé à en